MADELEINE GOBEIL (Canada)

Adieu, cher Michel



Lorsque je rencontrais Michel Camus nos propos, le plus souvent, portaient sur les grandes « ombres » qui accompagnaient son univers intérieur : Jean Carteret, René Daumal, Raymond Abellio, Antonin Artaud, Roberto Juarroz – les « éveilleurs » qui seuls lui semblaient pratiquer un langage de création. Plus près de nous des écrivains comme Bernard Noël, André Velter, Pierre Bettencourt, Adonis, Marcel Moreau lui paraissaient les « éveilleurs » de notre temps aspirant à « des éclairs de conscience supérieure ». Les jours qui suivaient nos entretiens, je recevais par la poste un livre ou un recueil de tel ou tel auteur, une mine d’or que je conserve précieusement.

J’osai une ou deux fois m’étonner de ces gestes généreux que Michel balayait d’un élégant mouvement de la main : « C’est au Canada, à Montréal, dans votre pays, auprès de mes amis peintres et poètes du "Refus global" que j’ai appris que la respiration de la poésie était une porte ouverte à partager ». C’est à Montréal, en effet, dans les années cinquante que la découverte de René Daumal puis celle d’Abellio allait entraîner Michel par un long cheminement vers une création poétique non comme une fin en soi, mais comme un « moyen d’autotransformation orienté vers l’auto-connaissance, une voie auto-initiatique orientée vers l’intérieur de l’intérieur (…) une voie de passage du niveau naturel ou sensible au niveau transcendantal. »

À travers les années j’ai beaucoup admiré le travail accompli par Michel pour m’aider à mettre sur pied à Vérone (au nom de l’Unesco) une Académie mondiale de la poésie même si Michel, il va sans dire, ne croyait pas aux intermédiaires entre la poésie et le lecteur. J’aimais le soin attentif qui fut le sien, avec Claire Tiévant, pour donner un plus large public à ses découvertes poétiques, comme aussi ses efforts incessants, notamment dans son livre Transpoétique, pour expliciter les liens entre la science et la poésie. Il sut mieux que quiconque révéler Basarab Nicolescu et Edgar Morin en tant que poètes et nous tracer d’Adonis un portrait inoubliable comme chercher de l’Absolu.

Un mois avant sa mort je lui rendis visite dans son studieux refuge de la rue Beautreillis. Il me remit son dernier recueil Le Feu secret du silence publié en 2002. Il est demeuré silencieux ce jour-là. À celui qui m’avait tant parlé de ses amis les poètes, j’ai souhaité lire à haute voix, pendant près d’une heure, ses propres mots car il demeurait avant tout pour moi le POÈTE, celui « par lequel la langue existe, la langue vit ».

« Quel est ce feu sans nom,
quel est ce feu secret
dans l’infinie saillie de la vie ?
Quel silence de feu et de glace
Avant comme après l’incendie
De la naissance et de la mort ? »

Madeleine Gobeil (Canada)


Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires n° 17 - Mai 2004

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