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Centre International de Recherches et études Transdisciplinaires
Il y a 40 ans de cela en l’année 1965, le Concile oecuménique Vatican II publiait parmi ses documents la déclaration sur l’éducation chrétienne Gravissimum Educationis (GE). Dans le préambule, le concile justifiait ainsi son choix : L’extrême importance de l’éducation dans la vie de l’homme et son influence toujours croissante sur le développement de la société moderne sont pour le Concile l’objet d’une réflexion attentive. Aujourd’hui, après 40 ans de réflexion et d’engagements de l’Eglise catholique dans le champ éducatif, où en est l’éducation chrétienne ?
Education chrétienne dans un monde globalisé
La GE a présenté un concept d’éducation chrétienne qui vise la maturation humaine et chrétienne en valorisant l’apport des sciences de l’éducation. En effet, elle a invité à tenir compte des progrès de la psychologie, de la pédagogie et de la didactique dans l’éducation des enfants et des jeunes (cf. GE 1). Les perspectives développées durant les 40 ans d’histoire de l’après concile, ne présentent aucune nouveauté. De nombreux penseurs ont approfondi cette approche mais n’ont fait que préciser les différentes dimensions de cette éducation chrétienne. Par exemple, l’un des derniers congrès du monde de l’éducation catholique regroupé sous l’égide de l’Office International de l’Enseignement Catholique (OIEC) témoigne du souci d’offrir une éducation significative pour le XXIe siècle et du désir de rester fidèle à lui-même et à sa mission. En effet, en cette occasion, un des intervenants définit ainsi l’éducation chrétienne : L’éducation d’aujourd’hui doit être : humanisante, transcendante et libératrice. Elle doit donner lieu à des habitudes de compréhension, de communion et de service avec l’ensemble de l’ordre réel ; elle doit faire de l’homme un acteur de son propre développement afin d’atteindre sa fin ultime et le bien des sociétés, dont l’homme fait partie ; elle doit lui permettre de se reconnaître et de se faire dans le cadre de sa relation avec les autres hommes [1].
Il est alors évident que ce processus unitaire de maturation humano-chrétienne qui fait de l’éducation chrétienne une réalité humanisante, transcendante et libératrice, ne saurait être une discipline ou une matière en soi et ne le sera jamais. Il doit plutôt se concevoir comme le résultat d’une multiplicité d’approches unifiées dans la vision chrétienne de la vie et de l’homme. C’est un style d’intervention inspiré de la doctrine du Christ qui imprègne les personnes, les actions, les projets et les milieux éducatifs. C’est une perspective qui caractérise les centres éducatifs et se développe d’une manière transversale dans les disciplines, les contenus, la méthodologie, les activités variées, les structures. Pour utiliser une métaphore, ce style d’éducation dans un centre d’inspiration chrétienne devient comme l’air qu’on respire, on ne le perçoit pas, mais s’il vient à manquer, on n’est pas à son aise. On pourrait dire que l’éducation chrétienne devient la production spécifique des centres d’inspiration chrétienne ; en d’autres mots, c’est le résultat de toutes les interventions éducatives.
Actuellement, on constate qu’avec la fin de la guerre froide et de la division bipolaire de la planète, c’est le concept de mondialisation-globalisation qui semble désormais régir les relations internationales. En effet, au cours des dernières décennies, le phénomène de la mondialisation a amené des transformations inédites dans les sphères de l’organisation économique et politique, des relations sociales, de la communication, des modèles de vie et de culture. Par exemple, un des grands défis que la connaissance devra affronter au cours du troisième millénaire est celui de la globalité que pose l’inadéquation avérée entre, d’une part, un savoir fragmenté, objet de disciplines différentes, et, d’autre part, des réalités multidimensionnelles, globales, transnationales [2].
Le système éducatif en général, et celui qualifié de chrétien en particulier, ne peut ignorer ce contexte historique et culturel où la logique dominante semble être celle de l’individualisme, de la concurrence, du triomphe du plus fort, de la fragmentation. Nous ne pouvons pas être satisfaits d’une éducation qui forme les personnes à un idéal individualiste de succès, de l’excellence comme norme absolue vers une réussite économique dans la vie au détriment de toute croissance en humanité. En effet, il nous faut, au contraire, former à une mentalité évangélique qui donne sens à la vie et qui fait de la globalisation une culture de solidarité et de communion. Il est nécessaire de proposer une éducation créative et libéralisante qui tend vers un nouvel humanisme en vue de la construction d’une société plus fraternelle.
C’est pourquoi une éducation chrétienne qui se veut significative aujourd’hui exige une approche orientée vers la convergence des forces qui engendre la communion. L’approche qui semble répondre à cette aspiration prend le nom de transdisciplinarité. Voilà pourquoi l’Education chrétienne1 conçue et assumée selon cette approche peut produire à long terme une culture de communion. En parlant de culture de communion, j’évoque la culture dans le sens humaniste du terme, c’est-à-dire un style de vie, de pensée et d’action où la communion est assumée comme catégorie anthropologique, spirituelle et pédagogique avec toutes ses conséquences [3].
La transdisciplinarité vers une culture de communion
L’approche transdisciplinaire, fruit d’un dialogue interdisciplinaire fécond, demande à tous, à tous les niveaux, d’adopter une attitude qui transcende à la fois l’individualisme, la fragmentation des disciplines, l’isolement plus ou moins relatif des groupes fermés. Elle choisit la collaboration ouverte et féconde. La transdisciplinarité stimule à la pratique de la confrontation, du dialogue, de l’écoute et du respect réciproque, de la solidarité et de la paix - si importante à l’ère planétaire actuelle - que ce soit dans le cadre de la formation continue, de la diffusion des informations ou de la collaboration scientifique.
C’est à ce niveau que se situe la contribution spécifique et décisive de l’éducation chrétienne à une véritable culture de communion, fruit d’une recherche et d’une praxis transdisciplinaire. Dans ce cadre, la contribution de l’approche transdisciplinaire est centrée sur sa participation à la formation de la culture de communion et de paix, à laquelle elle donne la plus large portée, non seulement en favorisant un dialogue fécond entre les disciplines scientifiques, mais aussi pour la solution pacifique des conflits et pour le développement maximal de la solidarité inter-humaine.
La mentalité de changement dans l’optique transdisciplinaire a des conséquences considérables au niveau éthique et social. Par exemple, la pensée qui relie montre la solidarité des phénomènes et leur interdépendance. C’est un atout intéressant pour promouvoir la culture de la solidarité, présente en nous dès le commencement, mais demandant sans cesse à être réveillée au moyen d’un sens aigu de la responsabilité pour faire de nous des citoyens actifs disposés à vaincre les défis de la société contemporaine.
Une fois assumée l’éducation chrétienne dans cette perspective transdisciplinaire, il faut promouvoir des centres capables de la réaliser dans le concret de la vie. Un des défis que les sciences de l’éducation doivent relever aujourd’hui consiste dans l’art d’articuler les disciplines, de relier les connaissances en vue d’une croissance harmonique de la personne pour une intégration critique dans la société. Relier les disciplines implique nécessairement la recherche de l’unité entre les chercheurs, mais surtout entre les savoirs scientifiques et pratiques, entre la théorie et la praxis, entre les différentes communautés ou centres éducatifs et, pourquoi pas ? entre les communautés éducatives et la société. Et cette tentative de collaboration sera en faveur du plus grand bien de tous ceux qui sont impliqués dans ce cercle.
Cette aspiration à la communion des divers groupes intéressés à l’éducation semble être une belle utopie, irréalisable dans une société où s’accroît l’individualisme, l’exclusion et où prédomine la loi du plus fort. Alors faut-il y renoncer ? Ou faut-il décider de commencer ? A mon avis, comme chrétiens professant la foi en Jésus-Christ qui appelle ses disciples à être un pour que le monde croie, nous avons l’obligation d’assumer notre responsabilité et de prendre au sérieux ce défi. Car, nous n’avons pas à nous perdre en lamentations et en déclarations sans engagement : il est temps que nous osions l’innovation. En ce sens, l’institution universitaire en tout premier lieu a un rôle fondamental à jouer. Quelle est donc cette fonction ?
Etant donné que le milieu universitaire est le lieu idéal de la rencontre des disciplines en évolution, je propose cette institution comme centre pilote pour l’expérimentation de cette approche. Car, comme l’affirme le projet Ciret-Unesco, é est le lieu privilégié d’une formation adaptée aux exigences de notre temps et elle est le pivot d’une éducation dirigée en amont vers les enfants et les adolescents et orientée en aval vers les adultes. […] L’Université renouvelée sera le foyer d’un nouveau type d’humanisme [4].
Si l’université en général est appelée à devenir le foyer d’un nouvel humanisme, que dire des universités catholiques ? Puisque dans cet article, nous nous référons à l’éducation chrétienne, il serait intéressant que les universités catholiques, d’une façon spéciale les facultés des sciences de l’éducation qui s’y trouvent, accueillent cette perspective de la transdisciplinarité et prennent le chemin du renouveau d’une éducation chrétienne significative. Alors comment procéder ?
Cultiver une attitude transdisciplinaire
Oser l’innovation représente, avant tout, le courage d’activer une mentalité de changement, c’est-à-dire, d’être disponible à modifier sa manière de procéder dans la recherche et l’étude, dans l’élaboration d’un projet ou dans l’approche du réel. La première conviction, c’est que le processus éducatif est l’objet de plusieurs disciplines scientifiques ou de plusieurs théories des différentes sciences, d’une façon telle qu’elles puissent entrer en dialogue entre elles. Cela implique que chaque discipline assume l’évidence qu’elle n’existe pas comme une réalité isolée, mais plutôt comme une voix singulière faisant partie d’un grand ensemble de connaissances. On arrive à un concert symphonique si les différents instruments sont, à la fois, bien spécifiés et bien harmonisés. Par conséquent, chacun doit produire le son propre, évitant aussi bien les écarts discordants que la domination d’une voix.
En ce sens, l’attitude transdisciplinaire exige un effort continu pour comprendre les autres points de vue et les intégrer dans la compréhension de la réalité. Cette position s’enracine dans l’attitude d’ouverture réciproque et dans la volonté politique de collaborer à travers les échanges d’informations et le dialogue authentique. Les experts de chaque science en particulier doivent renoncer à la prétention plus ou moins consciente que leur discipline constitue l’unique approche scientifique complète de l’objet en question.
En outre, le travail transdisciplinaire invite à construire un langage scientifique qui soit transmissible d’une science à l’autre, un peu comme les notes musicales sont les mêmes d’un instrument à l’autre. Par conséquent, les chercheurs de chaque domaine scientifique séparé doivent être ouverts à la compréhension des procédures et du langage des autres. Cultiver l’attitude transdisciplinaire ne constitue pas une homologation ou une fusion où tout peut passer. Il s’agit, au contraire, d’une interdisciplinarité réalisée à partir d’une correcte intradisciplinarité, c’est-à-dire un rigoureux respect des procédures typiques de chaque discipline, même quand on utilise des matériels provenant des autres champs de recherche.
Une telle démarche exige une constante remise en question : progressivement naît une mentalité opposée à la fragmentation ou au réductionnisme et propice à l’avènement d’un humanisme qui privilégie la confrontation, le dialogue, la réciprocité et la communion. Pour que le dialogue soit fécond, il faut exercer sa capacité critique, sa faculté de discernement, pour évaluer d’une façon correcte les diverses instances qui surgissent au cours de la confrontation et accéder à de nouvelles synthèses. De ce fait, la perspective transdisciplinaire est une opportunité unique pour que se développent le sens communautaire, la solidarité, l’esprit de communion : en effet, on doit continuellement interpeller l’autre pour mieux comprendre la réalité. Cet appel n’est pas seulement une nécessité, c’est une responsabilité vis-à-vis de l’autre avec qui on est appelé à collaborer vers l’unité dans la diversité. Par conséquent, il est important que l’on s’accorde sur la voie à suivre pour atteindre le but commun.
S’accorder sur le processus du travail à but transdisciplinaire
Une fois que les conditions d’une attitude transdisciplinaire sont posées ou au moins thématisées, on s’accorde sur le processus à suivre afin d’arriver au but fixé. L’étape fondamentale est de s’assurer que les chercheurs ou les agents de terrain en sciences de l’éducation partagent une anthropologie fondée sur une ontologie commune compatible avec les méthodologies des disciplines ou des personnes appelées à collaborer.
En un premier moment, on pose le problème dans ses lignes générales, dans le cas de l’éducation chrétienne catholique, on s’accorde sur sa spécificité et les priorités à retenir selon les facteurs socioculturels et historiques du moment. Puis on identifie la finalité à partir de la recherche, de l’élaboration du projet ou de l’expérimentation. Ensemble, on procède à une première analyse pour délimiter les champs d’étude ou d’interventions. Ainsi, on est en mesure d’identifier les compétences indispensables pour arriver au but. Quand elles sont établies, chaque discipline s’engage à formuler des hypothèses dérivant de son domaine spécifique par rapport à la finalité générale.
La deuxième étape rassemble les différentes hypothèses disciplinaires dans une sereine confrontation. Elle permet, voire exige l’explicitation des différences de conceptualisation, de langage, de méthodologie. Ce moment peut donner l’impression de sombrer dans la confusion, dans le sens où chacun semble parler d’un projet différent. Cependant, à la faveur du débat, on se rendra compte que seuls les points de vue sont diversifiés, mais que tous tendent vers la même finalité. Au cours de la discussion, les tendances hégémoniques disparaissent peu à peu et, à la faveur de l’ouverture réciproque, préparent la voie à un accord commun. Ce consensus se réalise donc autour de la formulation des cadres mentaux dits trans-spécifiques, c’est-à-dire, une conceptualisation qui rapproche les principes des diverses sciences nécessaires à la résolution du problème en question. On arrive ainsi à un système conceptuel ou opérationnel qui n’appartient plus d’une façon exclusive à une science particulière, mais participe de toutes les sciences en collaboration et demeure toujours ouvert à de nouvelles modifications.
A partir de ce nouveau système conceptuel, on élabore à nouveau les hypothèses sur le plan disciplinaire pour une proposition spécifique en vue d’atteindre la finalité. Enfin, il faut aussi établir les instruments d’évaluation pour voir dans quelle mesure les objectifs ont été atteints. Ce processus nous permet de réaliser l’unité dans la diversité, même à ce niveau de la recherche. Car si on est fidèle à la progression qu’il propose, on se rend compte que chaque science peut évoluer sans violence et sans contamination et que, surtout, il est possible d’élaborer de nouveaux cadres conceptuels à partir de la richesse de chacune. C’est une démarche qui demande du temps, exige une identité bien définie et permet la rencontre des personnes dans un dialogue sincère et serein ; par conséquent, elle implique l’art de l’écoute attentive et patiente. Somme toute, s’engager dans la recherche à but transdisciplinaire, c’est se lancer dans la promotion d’un constitutif fondamental de l’être humain, à savoir la sociabilité dans le sens lévinassien du terme où cette relation à l’autre élimine toute fusion, interpelle la responsabilité et la gratuité [5].
Perspectives pour une application concrète de l’approche transdisciplinaire
La démarche proposée pour la réalisation d’un travail à but transdisciplinaire est à peine esquissée. Son expérimentation se révèle importante pour confirmer sa faisabilité et prévoir un meilleur approfondissement. Comme c’est une réalisation qui implique tout un réseau d’interventions, elle restera une utopie si on n’active pas des stratégies concrètes pour informer et former à cette mentalité transdisciplinaire et surtout si on ne prend pas le risque de l’innovation dans cette optique.
Outre l’information, la conscientisation et la formation, le second pas à faire serait de profiter des structures existantes dans nos centres éducatifs : les communautés éducatives, les séminaires, les ateliers de recherche, les tables rondes, les congrès peuvent déjà entamer le travail. On n’a alors rien à inventer, mais seulement à optimiser les conditions de travail et disposer les structures à cet effet, une fois qu’on a la volonté politique d’agir et de collaborer. Que l’on ose cette expérimentation, on se rendra compte de ses bienfaits pour la culture de communion et de ses limites sur le plan pratique. Ainsi, on pourra activer de nouvelles études pour l’intégrer et l’enrichir en vue d’une meilleure efficacité. Il est à souhaiter que la transdisciplinarité telle que nous l’avons proposée trouve bon accueil près des chercheurs, spécialement dans les centres éducatifs : écoles, institutions supérieures et universités. Cela implique que les universités, d’une façon spéciale, les facultés des sciences de l’éducation, puissent créer les conditions d’une expérimentation sérieuse.
Si des cours à caractère thématique ou modulaire (éducation interculturelle, éducation à la solidarité, éducation à la citoyenneté …) étaient programmés et réalisés d’une façon transdisciplinaire, les enseignants témoigneraient directement de la possibilité effective de l’orientation. Cela aurait des conséquences positives sur les étudiants et progressivement se développerait un style de convivialité et d’acceptation sereine des différences.
Enfin, un mode de réalisation de cette approche peut être l’ouverture aux instances culturelles et sociales en vue de collaborer d’une façon plus significative à résoudre les grands maux de notre village planétaire à travers un projet collectif. A ce propos, je veux évoquer à titre d’exemple le Projet UNESCO pour la décennie 2001-2011 Vers la Culture de la Paix. Ce projet vise à promouvoir les valeurs, les attitudes et les comportements chez les gens pour qu’ils puissent chercher des solutions paisibles à leurs problèmes. Il est conçu aussi dans la perspective transdisciplinaire. En effet, il stipule que : Comme projet transdisciplinaire, tous les Secteurs de l’Organisation sont actifs dans le développement de projets innovateurs et d’activités qui prennent en charge cette nouvelle culture. En travaillant avec un grand nombre de partenaires, l’UNESCO vise à avancer un mouvement global pour une Culture de la Paix [6]. Il serait intéressant que des centres éducatifs particulièrement des Universités, deviennent des partenaires directs ou indirects travaillant dans le sens de cet objectif ou celui de la décennie 2002-2012 L’alphabétisation pour tous. Je cite seulement ces deux événements qui touchent directement la dimension éducative, mais on pourrait allonger la liste en s’ouvrant à d’autres organismes et à d’autres initiatives. Ce sont des problèmes concrets de notre village planétaire qui risquent d’aggraver les conditions de vie d’une grande majorité en rendant toujours plus difficile la réalisation de la citoyenneté active et responsable, si aucune modification des habitudes éducatives n’est sérieusement entreprise.
Pour conclure
En conclusion, nous pouvons affirmer que l’éducation dans l’optique transdisciplinaire est une éducation qui contribue à l’élaboration et la réalisation d’une culture de communion qui ne se limite pas seulement à dénoncer, à porter des correctifs au niveau micro ou à développer une éthique intérieure au système, mais qui renverse la logique du système et en propose une nouvelle.
Cette nouveauté dépend en grande partie de la capacité de tous les agents intéressés à élaborer un projet commun en vue de réaliser cette culture de communion par capillarité. Donc, la communion assumée comme catégorie anthropologique, spirituelle et pédagogique est une voie privilégiée pour éduquer les hommes et les femmes de notre temps qui doivent affronter le défi de la globalisation et de la fragmentation tendant à la déshumanisation de nos sociétés. En cela, l’approche transdisciplinaire représente une innovation et un apport intéressant pour réaliser le rêve de la civilisation de l’amour si cher au christianisme et à tout homme de bonne volonté.
Au niveau scientifique, cette approche permet de réaliser l’unité dans la diversité et invite à replacer la personne au centre. En ce sens, sa tâche prioritaire est l’élaboration d’un nouveau langage, d’une nouvelle logique, de nouveaux concepts pour permettre l’émergence d’un véritable dialogue entre les spécialistes des différentes branches du savoir. Cette collaboration doit les porter au-delà des disciplines vers la découverte de l’unité de l’univers, de la vie et de l’être humain en vue d’élaborer une culture de communion. Face au développement accéléré et envahissant des techno-sciences, Nicolescu, le principal promoteur de cette pensée, voit dans l’application de l’esprit transdisciplinaire à toutes les dimensions de la vie humaine un moyen de changer l’orientation de notre civilisation. Il s’agirait, en somme, d’un effort pour unifier le savoir morcelé et pour remplacer l’efficacité et la maîtrise des techniques par la poursuite du développement de la personne.
Pour nous autres, chrétiens, professant la foi à la suite du Christ, il s’agit d’un projet de communion qui ouvre à la civilisation de l’amour par une culture de solidarité et de paix. C’est pourquoi le concept de transdisciplinarité assumé ici est justement le résultat d’un dialogue fécond entre les disciplines. Il ne s’agit pas d’une synthèse englobante, mais de l’art d’articuler les savoirs différents et de respecter l’unité dans la diversité.
Pour finir, j’ose lancer l’invitation directement aux centres éducatifs catholiques. Car, si l’université en général est appelée à devenir le foyer d’un nouvel humanisme, nos institutions dites catholiques ont encore une plus grande responsabilité en ce domaine. Si nous voulons être des signes aujourd’hui, il nous faut accueillir cette perspective transdisciplinaire pour une éducation chrétienne adéquate. C’est seulement ainsi que nous donnerons un apport significatif au processus de la nouvelle évangélisation lancée par l’Eglise à Port-au-Prince depuis vingt ans. S’il faut parler de compétition, la manière d’être compétitifs aujourd’hui pour ceux qui professent la foi en Jésus-Christ doit être la haute qualité humaine qui caractérise nos relations, nos centres et nos institutions.
On entend souvent dire que la réforme éducative requiert une nouvelle conception épistémologique dans l’approche du savoir. Je pense que l’approche transdisciplinaire constitue une réponse alternative à cette nouvelle demande au niveau scientifique. En outre, sa réalisation adéquate dans les centres de formation peut être une contribution intéressante pour la formation des éducateurs, des enseignants et de tous ceux qui sont appelés à mettre leur savoir, leur savoir-faire et leur savoir-être au service de l’humanité.
De cette façon, l’application de l’esprit transdisciplinaire deviendra une réalité partout où évoluent des groupes humains. Elle aura des répercussions significatives au niveau éducatif, politique, social, économique, éthique, culturel et religieux. Ainsi, cette culture de communion dans la perspective transdisciplinaire deviendra la symphonie de l’humanum comme aventure délibérément assumée de l’éminente dignité de l’être humain et de la solidarité de l’humanité.
Sur Martha SEÏDE
Faculté pontificale des Sciences de l’éducation Auxilium, Rome, Italie
Port-aux Princes, Haïti
Note
1 Je tiens à préciser que l’éducation chrétienne peut être légitimement conçue selon le pluralisme théologique, pédagogique et confessionnel. Pour l’économie de cet article, je circonscris cette approche exclusivement dans le contexte catholique sans ignorer la grande richesse des autres confessions chrétiennes.
Références
[1] MEDINA E., Expérience « Communauté Educative », in OIEC, L’école catholique au service de tous. XIV Congrès mondial de l’enseignement catholique, Rome 1994, Bruxelles : KOLV Mariakerke, 1994, 208.
[2] MORIN E., Le défi du XXIe siècle. Relier les connaissances, Paris : Editions du Seuil, 1999.
[3] Pour un approfondissement du thème de la communion assumée comme catégorie anthropologique, spirituelle et pédagogique cf. SEÏDE M., L’éducation chrétienne pour une culture de communion, Port-au-Prince : Henri Deschamps, 2003.
[4] PROJET CIRET-UNESCO, Evolution transdisciplinaire de l’Université, Locarno 1997, in http://perso.club-internet.fr/nicol/ciret/locarno/locarno4.htm, 05-12-99, n, 7.
[5] LEVINAS E., Altérité et transcendance, Paris : Fata Morgana, 1995,110-114.
[6] UNESCO, Projet Transdisciplinaire de l’UNESCO : Vers une Culture de la Paix, in http://www.unesco.org/cpp/fr/index.html (6-04-01), 1.