LA CONSCIENCE ATTENTIVE

 

 

         La question de la mort dérange. Et pourtant son image superficielle est omniprésente dans nos actualités, au cinéma, dans les jeux vidéo, etc.

         De la même manière que le nouveau-né est désemparé lorsqu’il arrive dans notre monde qui lui est inconnu, il semblerait que nous soyons terriblement désemparé face à un événement pourtant inévitable, la mort.

         Ainsi, la réflexion que je propose dans cette courte note consiste à examiner le processus de naissance et de croissance de l’être humain qui doit lui permettre de se situer de façon plus adéquate face à la mort, cette possible nouvelle naissance ou cette porte vers un néant à définir.

Sélim Aïssel écrit dans ses Pensées spirituelles impertinentes[1]:

 

La vie après la mort. Choisissez :

 - le néant,

 - ou la vie dans un autre monde,

 - ou une nouvelle réincarnation terrestre,

 - ou la récurrence (revivre la même vie à  la même époque !).

 Sans connaissances suffisantes et sans travail, vous ne pouvez pas choisir, ça choisira pour vous.

        

Pour débuter ma réflexion, je choisis de m’appuyer sur cette pensée proposée par le philosophe Sélim Aïssel. Se basant sur les théories et croyances religieuses sur la vie après la mort, Sélim Aïssel, à l’instar de Rudolf Steiner[2] à son époque, considère que s’il existe une vie après la mort, celle-ci sera probablement la suite logique de sa vie avant la mort, de sa façon de penser, de sa façon de ressentir, de ses actes posées et certainement aussi de ses intentions. L’idée centrale est donc que nous sommes responsables de ce qui va se passer à la mort à condition de s’en donner les moyens. Évidemment, cela ne signifie pas que nous soyons responsable de la manière extérieure de mourir, mais l’état intérieur au moment de la mort peut sûrement se préparer. Ce texte propose ainsi de simplement parcourir la vie humaine depuis la naissance vers l’inévitable mort, avec un regard qui se nourrit de la conscience la plus claire possible, selon bien sûr mes propres connaissances et mon expérience personnelle, teintée de toute sa subjectivité.

 

La première mort

         À la naissance, l’être humain appréhende une première mort. Celle qui consiste à quitter un monde fusionnel avec sa mère, un monde où l’enfant est protégé et totalement dans l’amour de l’être qui le porte. Et l’accueil dans le nouveau monde est loin d’être toujours très agréable : froid, violence physique, choc émotionnel lié à la séparation, etc. une mort en quelque sorte.

         Que peut-il alors se passer pour cet être dans ce nouveau monde ? Immédiatement, il s’empoisonne avec trois fardeaux : la peur (de ce monde inconnu), la tristesse (d’avoir quitter son monde d’avant) et enfin la colère (car il souhaite retrouver le bonheur perdu). Le passage du monde de la mère vers notre monde s’accompagne d’un traumatisme, qu’on peut certes minimiser avec des techniques d’accouchement adéquates, mais on ne connaît pas d’être humain qui ne soit pas ‘squatté’ par les fardeaux que j’ai cités.

 

Reconnaître les poisons

         L’observation sincère de soi conduit à reconnaître ces trois poisons en soi. Ils sont les moteurs de la vie, en prenant évidemment des formes et des expressions très diverses et variées sur les cheminements des individus. L’affirmation que je pose ici est le fruit de l’expérience partagée par de nombreux chercheurs de vérité, cette vérité que l’on peut découvrir sur soi. La découverte de ces moteurs est accompagnée de quelques grincements de dents et une nécessaire remise en cause de ses façons mécaniques (conditionnées) de réagir à la vie, et ceci à la fois au niveau des attitudes physiques, des réactions émotionnelles et des pensées. Prenons un exemple : je réagis très mal (émotion négative de suspicion, haine, attitude agressive, pensées malveillantes, etc.) lorsque, dans un domaine qui me concerne, on me cache des choses ou des collègues prennent des initiatives sans m’en parler. Je reconnais aujourd’hui ce type de comportement, mon comportement comme quelque chose de maladif, inadapté à la vie telle qu’elle est. Un autre, dans cette même situation, pourrait réagir de façon totalement différente. C’est une évidence et cela signifie clairement que ce n’est pas la situation qui contient le problème mais moi. Les poisons à l’œuvre ici sont dans l’ordre : la peur (d’être exclu), la tristesse (de ne pas être à la hauteur) et bien sûr la colère qui nourrit l’ensemble des émotions négatives qui naissent alors. Voir, avoir conscience de ces processus permet, petit à petit, de dévoiler notre propre nature, quelque chose qui était peut-être là avant même la naissance.

         Il apparaît comme une nécessité supérieure, dans le jeu de la vie, de travailler à découvrir puis à dépasser les poisons cités ci-dessus. Il s’agit de les dépasser, après les avoir reconnus comme une réalité, pour accéder à une dimension plus subtile dans l’être humain. À l’évidence, seule quelque chose de plus subtile que notre structure matérielle peut survivre à la mort du corps. Mais encore faut-il avoir créé ou nourri une autre structure.

            Se laisser vivre uniquement au travers des trois poisons étouffe notre nature subtile. Mais l’observation de nos fonctionnements ne peut pas suffire à développer cette nature différente, mais la dévoile seulement. Affronter la vie sous ses multiples aspects doit permettre de grandir, à condition de faire la part entre les poisons et notre aptitude à nous conduire selon des comportements réellement humains. Cela s’apprend mais cet aspect des choses dépasse le cadre de cette contribution.

 

La conscience attentive : le fil de la vie

Ainsi il est possible, de façon très concrète, de se préparer à la mort à chaque instant. D’une part, la conscience attentive permet de faire ce long travail de dévoilement et nous prépare chaque fois un peu plus à cet instant où tous les voiles tomberont d’un seul coup.

Chaque instant de notre vie, par la pratique de la conscience attentive, devient une petite mort à nos poisons. De ce point de vue, et en accord avec les connaissances modernes du métabolisme cellulaire, la vie peut être considéré comme une succession de ‘petites morts’. L’important est d’appréhender ces ‘petites morts’ de façon consciente, cette conscience attentive qui est la marque de notre humanité (qui nous distingue du monde animal).

 

 

Pour résumer, je pense qu’en dehors de tout dogmatisme et théorie, une façon concrète de se positionner face à la mort aujourd’hui, est d’entretenir une force ou un processus de conscience attentive entre la naissance et la mort. C’est un travail de chaque instant mais combien difficile. Ce travail a cependant deux grands avantages : il peut être fait tout le temps et partout, et il est une force véritablement humaine qui éclaire la vie, notre cheminement de vie, de nombreuses lumières inattendues. Nous établissons donc une triade en quelque sorte, afin de vivre la mort comme un processus supérieur, une vraie nouvelle naissance. La conscience attentive y joue un rôle essentiel qui permet chaque jour d’avancer vers sa mort, droit et courageusement.

 

 

 Richard WELTER



[1] Sélim Aïssel, Pensées spirituelles impertinentes, Editions Spiritual Book, 2000.

[2] Rudolf Steiner, Le sens de la mort, Editions du Centre Triade, 1985.

Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires n° 19 - Juillet 2007

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