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Centre International de Recherches et études Transdisciplinaires
Que na t-on pas fait dans lhistoire de lhumanité "au nom de Dieu", que ne fait-on pas encore aujourdhui, un peu partout dans le monde ! Voilà que les religions, qui sont faites pour "relier" lhomme à Dieu et les hommes entre eux, deviennent parfois, sous linfluence de fanatismes et de fondamentalismes, des instruments de divisions voire daffrontements terribles et odieux ! Une légitime tentation serait de se dire : "puisquil en est ainsi, passons-nous des religions, créons de nouveaux systèmes de valeurs déconnectés des grandes religions et de leurs institutions". Même ainsi, personne nest à labri du sectarisme, et le remède peut devenir pire que le mal ! De plus la dimension religieuse de lhomme est essentielle et, quand elle est vécue dans un vrai dialogue entre foi et raison, peut devenir un lieu dépanouissement et de rencontre unique entre personnes et entre peuples. Les initiatives prises aujourdhui par des responsables des grandes religions pour se rencontrer, prier et uvrer ensemble pour la paix sont de cet ordre. Ils sont porteurs de beaucoup despoir face à la montée des intégrismes.
Cest bien le dialogue entre foi et raison qui peut servir daiguillon aux rencontres inter-religieuses et permettre déviter en partie les sectarismes. Je voudrais donner ici un exemple débauche dun dialogue inter-religieux à partir de recherches sur les relations entre foi et science, entre spiritualité et science.
LUNESCO, associée à dautres partenaires, organise des rencontres devenues régulières entre des scientifiques du monde entier (physiciens et biologistes) appartenant à diverses grandes religions. Ainsi, pendant plusieurs jours, chacun dit comment il vit conjointement les démarches du scientifique et du croyant, avec harmonie, conflit ou difficulté selon les cas. Chacun écoute aussi les réactions et les questions de ses confrères scientifiques dautres religions ou sagesses. De ces riches partages germe une possibilité originale de dialogue inter-religieux à partir des grandes questions posées par les sciences dures, questions déthique et questions métaphysiques. Ce fait est sans doute une surprise pour beaucoup de nos contemporains qui, simaginant que science et religion ne peuvent faire bon ménage, voient que les questions posées par les sciences peuvent être un dénominateur commun qui ouvre au dialogue inter-religieux ! De plus, que lUNESCO soit le cadre dun tel dialogue nest pas non plus sans ouvrir de belles perspectives au niveau mondial !
Beaucoup de chemin reste à accomplir, non seulement entre scientifiques mais aussi au niveau du grand public. Le scientisme, le fondamentalisme et le matérialisme résistent ! Mais les premiers pas accomplis disent une piste intéressante, celle empruntée par la philosophie morale. Explicitons un peu. Ce qui intéresse souvent les chercheurs de sens, cest de savoir comment on peut etre à la fois scientifique et croyant. Montrer quil peut y avoir des attitudes communes entre les deux démarches à partir dune analyse des fondements de ces attitudes (cest cela la philosophie morale) devient alors une recherche passionnante.
A titre dexemple, je citerai deux attitudes communes : lattitude d accueil dune réalité qui toujours nous échappe et louverture au sens du mystère. Le grand leitmotiv de lépistémologie des sciences dures est "quelque chose échappe". La réalité est toujours au-delà de nos représentations même si elle se laisse appréhender de mieux en mieux par la raison. Cest la capacité daccueil et danalyse de "cette réalité qui résiste à nos représentations" qui constitue vraiment le chercheur scientifique. Nest-ce pas cette même attitude que le croyant en recherche expérimente devant un Dieu qui se laisse connaître et qui pourtant toujours lui échappe ? Dieu ne se confond pas avec la réalité physique, mais cest une même attitude morale qui peut animer le scientifique et le croyant, sans confusion des domaines scientifique et religieux. Le chercheur scientifique comme le croyant en recherche peuvent alors souvrir au sens du mystère, ce dernier ne désignant pas ce quon ne peut pas comprendre mais ce quon naura jamais fini de comprendre. Cest cet accueil, cette confrontation honnête, rude et passionnante à la réalité qui échappe qui constitue le sujet scientifique et le sujet croyant, en recherche avec dautres.
Si le dialogue entre scientifiques et croyants conduit à expérimenter de telles attitudes, nul doute que cela rapproche les croyants des grandes religions. Non pas dans un relativisme bon marché qui consisterait à dire que toutes les religions se valent et quon peut prendre ce qui plait dans lune ou lautre et laisser le reste. Non pas non plus en créant une sorte de supra-religion à partir dune vision pseudo-scientifique de lhomme et du monde, comme cela est parfois le cas de nos jours. Mais lesprit et le cur des hommes souvrent aux dimensions de la profondeur de lêtre et de fraternité en expérimentant humblement ces attitudes communes, fruit dun approfondissement des sciences dune part, des traditions religieuses dautre part.
Le travail est long et difficile. Il demande patience, rigueur et enthousiasme, il demande déviter les concordismes faciles. Mais quand science, culture et religion dialoguent ainsi, cest toute lhumanité qui peut souvrir davantage à lintelligence de la Vie et au cadeau de la liberté!
Thierry MAGNIN
Prêtre catholique et physicien
January 22, 2002