THIERRY MAGNIN

Pour un dialogue inter-religieux
basé sur
les relations entre science et religion



Que n’a t-on pas fait dans l’histoire de l’humanité "au nom de Dieu", que ne fait-on pas encore aujourd’hui, un peu partout dans le monde ! Voilà que les religions, qui sont faites pour "relier" l’homme à Dieu et les hommes entre eux, deviennent parfois, sous l’influence de fanatismes et de fondamentalismes, des instruments de divisions voire d’affrontements terribles et odieux ! Une légitime tentation serait de se dire : "puisqu’il en est ainsi, passons-nous des religions, créons de nouveaux systèmes de valeurs déconnectés des grandes religions et de leurs institutions". Même ainsi, personne n’est à l’abri du sectarisme, et le remède peut devenir pire que le mal ! De plus la dimension religieuse de l’homme est essentielle et, quand elle est vécue dans un vrai dialogue entre foi et raison, peut devenir un lieu d’épanouissement et de rencontre unique entre personnes et entre peuples. Les initiatives prises aujourd’hui par des responsables des grandes religions pour se rencontrer, prier et œuvrer ensemble pour la paix sont de cet ordre. Ils sont porteurs de beaucoup d’espoir face à la montée des intégrismes.

C’est bien le dialogue entre foi et raison qui peut servir d’aiguillon aux rencontres inter-religieuses et permettre d’éviter en partie les sectarismes. Je voudrais donner ici un exemple d’ébauche d’un dialogue inter-religieux à partir de recherches sur les relations entre foi et science, entre spiritualité et science.

L’UNESCO, associée à d’autres partenaires, organise des rencontres devenues régulières entre des scientifiques du monde entier (physiciens et biologistes) appartenant à diverses grandes religions. Ainsi, pendant plusieurs jours, chacun dit comment il vit conjointement les démarches du scientifique et du croyant, avec harmonie, conflit ou difficulté selon les cas. Chacun écoute aussi les réactions et les questions de ses confrères scientifiques d’autres religions ou sagesses. De ces riches partages germe une possibilité originale de dialogue inter-religieux à partir des grandes questions posées par les sciences dures, questions d’éthique et questions métaphysiques. Ce fait est sans doute une surprise pour beaucoup de nos contemporains qui, s’imaginant que science et religion ne peuvent faire bon ménage, voient que les questions posées par les sciences peuvent être un dénominateur commun qui ouvre au dialogue inter-religieux ! De plus, que l’UNESCO soit le cadre d’un tel dialogue n’est pas non plus sans ouvrir de belles perspectives au niveau mondial !

Beaucoup de chemin reste à accomplir, non seulement entre scientifiques mais aussi au niveau du grand public. Le scientisme, le fondamentalisme et le matérialisme résistent ! Mais les premiers pas accomplis disent une piste intéressante, celle empruntée par la philosophie morale. Explicitons un peu. Ce qui intéresse souvent les chercheurs de sens, c’est de savoir comment on peut etre à la fois scientifique et croyant. Montrer qu’il peut y avoir des attitudes communes entre les deux démarches à partir d’une analyse des fondements de ces attitudes (c’est cela la philosophie morale) devient alors une recherche passionnante.

A titre d’exemple, je citerai deux attitudes communes : l’attitude d’ accueil d’une réalité qui toujours nous échappe et l’ouverture au sens du mystère. Le grand leitmotiv de l’épistémologie des sciences dures est "quelque chose échappe". La réalité est toujours au-delà de nos représentations même si elle se laisse appréhender de mieux en mieux par la raison. C’est la capacité d’accueil et d’analyse de "cette réalité qui résiste à nos représentations" qui constitue vraiment le chercheur scientifique. N’est-ce pas cette même attitude que le croyant en recherche expérimente devant un Dieu qui se laisse connaître et qui pourtant toujours lui échappe ? Dieu ne se confond pas avec la réalité physique, mais c’est une même attitude morale qui peut animer le scientifique et le croyant, sans confusion des domaines scientifique et religieux. Le chercheur scientifique comme le croyant en recherche peuvent alors s’ouvrir au sens du mystère, ce dernier ne désignant pas ce qu’on ne peut pas comprendre mais ce qu’on n’aura jamais fini de comprendre. C’est cet accueil, cette confrontation honnête, rude et passionnante à la réalité qui échappe qui constitue le sujet scientifique et le sujet croyant, en recherche avec d’autres.

Si le dialogue entre scientifiques et croyants conduit à expérimenter de telles attitudes, nul doute que cela rapproche les croyants des grandes religions. Non pas dans un relativisme bon marché qui consisterait à dire que toutes les religions se valent et qu’on peut prendre ce qui plait dans l’une ou l’autre et laisser le reste. Non pas non plus en créant une sorte de supra-religion à partir d’une vision pseudo-scientifique de l’homme et du monde, comme cela est parfois le cas de nos jours. Mais l’esprit et le cœur des hommes s’ouvrent aux dimensions de la profondeur de l’être et de fraternité en expérimentant humblement ces attitudes communes, fruit d’un approfondissement des sciences d’une part, des traditions religieuses d’autre part.

Le travail est long et difficile. Il demande patience, rigueur et enthousiasme, il demande d’éviter les concordismes faciles. Mais quand science, culture et religion dialoguent ainsi, c’est toute l’humanité qui peut s’ouvrir davantage à l’intelligence de la Vie et au cadeau de la liberté!

Thierry MAGNIN
Prêtre catholique et physicien

January 22, 2002


Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires n° 16 - Février 2002

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