CIRET |
Centre International de Recherches et études Transdisciplinaires
Aujourd'hui lorsque nous tentons de comprendre l'histoire de la pensée en Occident nous faisons référence au monde contemporain comme à un lieu de crise, d'échec des grands systèmes et de vide métaphysique. Notre horizon est bouché par le réalisme ou l'ironie des théories déconstructivistes et effectivement devant les tragédies issues de tant de conflits mondiaux, des camps de la mort, des dictatures, de la torture, des persécutions de toutes sortes, de la douleur issue de la grande pauvreté, personne ne se risquerait à affirmer, en saine conscience, que Dieu ait pu vouloir ses massacres, qu'ils font partie d'un plan de l'évolution humaine... Devant l'horreur, nous ne saurions justifier rationnellement l'injustifiable au nom du ciel, ou de qui que ce soit.
Le 11 septembre je faisais classe alors que les avions s'écrasaient sur le World Trade Center. Les étudiants et moi-même étions en état de choc, tandis que les nouvelles affluaient du couloir, des nouvelles qui nous paraissaient absurdes, incroyables...Immédiatement je me suis souvenue d'une interview de Gérard Depardieu où il commentait que le cinéma n'était pas la vie, mais que c'était la vie qui dépassait de loin la fiction.
"Madame, que pensez vous de ce qui est en train de se passer ?"
A priori je ne savais pas quoi penser ; je n'étais pas préparée à penser cela. Comment expliquer par la raison ce qui a lieu hors raison? Je fouillais dans ma mémoire des mots d'appel au calme, des mots de deuil, rien de bien brillant. Je passais les jours suivants avec une forte sensation d'échec, en panne d'espoir et d'arguments.
Si la métaphysique n'est plus notre fort, Corbin écrit à merveille sur les mystiques de l'Islam où l'amour de Dieu est présent. Il est aimé au point que l'on meure pour lui sans sourciller.
Quant à nous Occidentaux nous sommes souvent matériellement riches d'un fatras de choses inutiles, d'une technologie de pointe qui nous conduit en promenade sur la lune, mais nous sommes devenus pauvres en utopies, en horizon, en Paradis...
Où sont passés nos jardins, l'Abbaye de Thélème chère à Rabelais, nos promesses d'aube, "de jour de palme et d'épaule nue où les gens s'aimeront, des jours comme un oiseau sur la plus haute branche", comme écrivait le fou d'Elsa? Nous ne sommes plus fous de rien.
En revanche ces populations arabes privées de tout, qui tiennent des années dans des conditions qui, pour ma modeste part, pourraient me tuer rapidement, sont riches d'une foi profonde que nous ne comprenons pas, que nous appelons fanatique. Une semaine plus tard, je demande à l'une de mes classes : "qu'avons nous appris le 11 septembre?"
Nous parlons à bâtons rompus, les idées fusent pèle mêle, la discussion est animée. À São Paulo, le fort métissage culturel permet un débat ouvert, sans préjugés, qui ose l'utopie.
Nous apprenons ensemble qu'au fil de l'histoire nous avons désappris la possibilité d'avoir un monde commun, un temps et un lieu pour se mettre d'accord. Nous avons désappris la faculté de relier. La "concordia mundi" ne fait plus partie de nos programmes.
Devant l'horreur, je pense encore qu'il nous faut le courage de reprendre nos études de métaphysique, non pas sous la forme des certitudes, nous sommes bien loin des preuves ontologiques de Saint Thomas d'Aquin, mais sous la forme bouleversante et risquée du pari. Le pari que nous saurons trouver un temps et un lieu en nous pour nous mettre d'accord, pour nous relier à une bonté souterraine, suffisamment sensée pour déjouer toute les guerres... Alors nous pourrons nous dire, peut être, que nous avons appris effectivement quelque chose de toute la douleur. Mais nous ne pourrons jamais penser qu'elle était nécessaire.
Mariana G. M. LACOMBE
Professeur de philosophie et philosophie de l'éducation
Coordonnatrice du Centre de Recherches Inter et Transdisciplinaires
Centre Universitaire F.I.E.O. (UNIFIEO), Osasco, Brésil
October 4, 2001