RENÉ BERGER

Prolégomènes à la conception d'une Université du Futur



Abstract

La mutation de notre société a atteint un seuil critique. Non seulement les paradigmes classiques cèdent à de nouveaux paradigmes, nos "topiques" fondamentales sont ébranlées, tout comme nos institutions les mieux établies. Nos conceptions et nos comportements s'orientent vers une transdisciplinarité [1] et une trans-pragmatique dynamiques globales, à laquelle n'échappe pas l'Université. Peut-on esquisser les délinéaments de l'évolution en cours ? Liée durant des millénaires au "savoir" qui la légitimait en la stabilisant, l'Université doit compter de plus en plus avec les réseaux qui, tel Internet , "inventent" le futur en temps réel.

Pourquoi "prolégomènes"?[2]

C'est à dessein que j'emploie le terme. Il n'est en effet pas possible à mes yeux de présenter un projet arrêté. En revanche il me paraît possible, et souhaitable, d'apporter les éléments d'observation et de réflexion susceptibles de nous introduire à la conception d'une "université de demain". Ce qui ne signifie nullement qu'une telle conception en restera aux concepts. Tout au contraire, les considérations qui suivent insisteront sur l'aspect expérimental d'une telle initiative, qui est, et reste une entreprise "in progress".

Par commodité et souci d'économie, je désignerai l'Université [3] traditionnelle par l'abréviation UT, et l'Université de demain ou Université du Futur par l'abréviation UF, en précisant d'entrée de jeu qu 'il ne s'agit pas d'une discrimination, mais d'une distinction opératoire.

La métaphore "apoptose-métamorphose" comme hypothèse de travail

A observer les changements qui se produisent aujourd'hui dans l'ensemble des activités, tant scientifiques, politiques, sociales, qu'économiques, culturelles, voire religieuses, on constate de plus en plus qu'événements et phénomènes procèdent de façon non-linéaire [4] , à partir d'une complexité [5] inhérente et irréductible, qui engendre des bifurcations imprévisibles, souvent déconcertantes. Ainsi de la théorie du chaos [6], dont les fractals [7] se manifestent autant en biologie qu'en génétique ou à la bourse. L'avènement des autoroutes de l'information [8], tout comme celui, accéléré, des multimédias, affectent aussi bien les structures traditionnelles de nos institutions que nos comportements quotidiens.

Point capital : dans une situation qui s'éloigne de plus en plus de la linéarité, il apparaît que les nouvelles technologies (pour résumer d'un mot l'innovation généralisée qui est devenue nôtre), ne peuvent plus être tenues, comme elles l'ont été jusqu'ici, pour des perfectionnements instrumentaux. Au seuil critique qu'elles ont atteint, elles restructurent non seulement le champ des techniques, mais l'ensemble de nos faits et gestes individuels et collectifs, à tous les niveaux et dans tous les domaines. Ainsi le "tout numérique", qui évince progressivement le "tout analogique", transforme de fond en comble le système de représentation millénaire dont nous avons vécu jusqu'ici. Un nouveau type de civilisation émerge, dont les délinéaments commencent seulement à voir le jour. Il en va de même de la Réalité Virtuelle [9], qui transforme l'image que nous nous sommes faite de la réalité depuis toujours, quand elle ne s'y substitue pas. A l'évidence on peut dire qu'une nouvelle étape de l'évolution se profile, à condition d'ajouter aussitôt qu'elle ne sera pas le simple prolongement du passé. C'est d'un processus non-linéaire qu'il s'agit, qu'on peut synthétiser au moyen de deux termes réunis par un trait d'union : apoptose-métamorphose . En grec, apoptose désigne la chute des pétales ou des feuilles, sens qui a été adapté à la suite de découvertes récentes à la biologie pour désigner le phénomène par lequel un organisme, "invente" une mort cellulaire programmée, radicalement distincte de la nécrose, pour acheminer l'organisme vers son état d'accomplissement. C'est ce qui se produit chez l'embryon avec la disparition des membranes interdigitales, ou quand les neurones, aux prises avec un foisonnement ininterrompu, se "sacrifient" en partie pour "sculpter" ce qui deviendra notre cerveau.

Ne peut-on dès lors former l'hypothèse qu'il en va de même de la culture, partant, des institutions en général, et plus particulièrement des universités, objet de notre propos ? Les mécanismes mentaux, qui ont régné durant des siècles, sont en train de se "faner", comme une fleur ou un arbre qui ont épuisé leur sève, non pour céder à la mort, mais pour régénérer les conditions d'une nouvelle naissance ou, plutôt, d'une métamorphose , c'est-à-dire d'un changement radical, au sens propre, à partir de la racine ?

0r, c'est partout et tous les jours que se multiplient les indices d'un tel changement, aussi bien sur cette terre qu'au-delà dans l'espace, jusqu'au tréfonds de la matière et, sans doute, de l'esprit. Il ne s'agit nullement de renier notre passé; il s'agit d'abandonner les mécanismes conceptuels qui, après nous avoir servi des siècles durant à établir et à maintenir notre pouvoir sur le monde, apparaissent de plus en plus comme des structures transitoires qui menacent d'inhiber notre développement au seuil du siècle à venir. C'est en effet à une nouvelle métamorphose que nous avons affaire, méta-morphose (méta-physique, méta-technologie, ) que nous n'avons pas à subir, mais à construire . Tel est l'enjeu de la "méta-université de demain", que j'appelle aussi bien l'Université du futur.

Première approche, la dynamique du trans-

Toute discipline, tout savoir, toute connaissance, constitue un système, soit un ensemble d'éléments dont les interactions présentent une cohésion et une stabilité qui le distinguent de tous les autres. Chaque système se fonde donc sur une logique qui lui assure à la fois son identité, sa structure et son fonctionnement. Anthropologues et ethnologues nous ont montré que, quelque surprenantes que puissent être ces "logiques", car c'est bel et bien au pluriel qu'il faut parler, elles ont toutes en commun le souci de maintenir un certain ordre . Cela dit, la marge est grande entre la logique du coeur (" Le coeur a ses raisons, que la raison ne connaît point ", de Pascal) et celle de la publicité " France Telecom c'est un avenir d'avance ", toutes deux en rupture avec le "bon sens" et, d'autre part, la logique, au sens strict d'organisation de la pensée, dont les formes et les applications, si elles varient selon les lieux, les cultures et les époques, témoignent toutes d'une même volonté de rigueur. Processus qu'on peut schématiser en quelques points:

  1. toute pensée ou suite de pensées implique une "logique", une façon d'organiser et de valider un principe de cohérence qui assure la cohésion des éléments en interaction;

  2. dans la culture occidentale s'est manifestée très tôt la tendance préférentielle à favoriser la primauté de la raison ; le découpage rationnel débouchant sur le découpage conceptuel et le découpage "disciplinaire";

  3. à la réflexion, c'est-à-dire quand on s'interroge sur les présupposés et le cadre de référence établi, on s'avise que le rationnel et le "disciplinaire" sont des dispositifs qui ont été produits historiquement dans des conditions de civilisation données et relatifs à ces conditions;

  4. dès lors, les multi-ou-pluri-disciplinaires, même s'ils sont apparus tardivement, appartiennent à l'instance qui s'efforce de remédier à la raison réductionniste;

  5. quant au "transdisciplinaire", dont la fécondité ne cesse de s'affirmer, il se manifeste, non seulement comme une sorte de "progrès" qui suivrait le muti-pluri-inter-disciplinaire, mais comme le passage qui conduit de la fragmentation, du découpage du réel, au recouvrement dynamique de l'intégralité. Le transdisciplinaire traverse les disciplines en manifestant tout au cours de son émergence un pouvoir de polarisation généralisé.

C'est ainsi que se multiplient ce qu'on pourrait appeler des quasi symbioses , qui opèrent linguistiquement au moyen de noms composés, souvent avec un trait d'union pour commencer, ainsi "trans-culture", puis sans trait d'union quand la greffe ou l'usage se sont imposés, "transculture " [10]. Quasi-symbioses qui se caractérisent toutes par le rejet du réductionnisme [11] disciplinaire, auquel Kurt Gödel [12] avait définitivement tordu le cou dans son célèbre mémoire de 1931 que synthétise une note ajoutée en 1963 : "On peut démontrer rigoureusement que dans tout système formel consistant contenant une théorie finitaire relativement développée, il existe des propositions arithmétiques indécidables et que, de plus, la consistance d'un tel système ne saurait être démontrée à l'intérieur de ce système".

D'un autre côté, ces quasi-symbioses s'ouvrent sur la notion de tiers inclus mise en lumière par Stéphane Lupasco [13] et approfondie par Basarab Nicolescu [14]. Ce que préfigure Mallarmé dans une phrase aussi ramassée que lumineuse: "Instituer une relation entre les images exacte, et que s'en détache un tiers aspect fusible et clair présenté à la divination." (c'est moi qui souligne ). Et le poète d'en fournir l'illustration : "Je dis : une fleur ! et, hors de l'oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d'autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l'absente de tous bouquets." Mystère que saint Jean Damascène exprimait quelque douze siècles auparavant à sa manière : " les hypostases sont unies non pour se confondre mais pour se contenir réciproquement ..., chacune contient l'unité par sa relation aux autres non moins que par sa relation à soi-même ".

De son côté la civilisation japonaise désigne par MA [15] une entité "spatio-temporelle" ou réalité "tierce" dont le rôle est fondamental : " The unique linguistic characteristic of the Japanese language lies in a non-structural approach in which the words do not necessarily have a logical relationship to one another, but where the words spoken have a number of invisible meanings and Ma or silent beats from which the listener is expected to extract and interpret the meaning intended by the speaker ". Ou encore, par opposition à l'architecture européenne, qui met l'accent sur les "firm and hard structural materials as stone and brick which have been used to create separation between the inside and the outside of buildings"... in traditional Japanese dwelling architecture we find an element called "verandah" which runs along the outside edge of the rooms to form a sort of corridor with no roof over it. This verandah, then, is outside of the house. But, at the same time, since it is separated from the inside by only a glass door, it is also considered a part of the inside of the house. In other words, it is a "third category space" that serves to link the inside and outside together".

C'est un point qu'il m'est impossible d'approfondir ici, mais qui en recoupe un autre, non moins important à mes yeux, celui de l'art dans sa nature même. Succinctement, on peut dire que les beaux-arts, plus largement ce que nous appelons aujourd'hui les arts plastiques et arts visuels, se sont fondés, tout au moins en Occident, avant tout sur la "logique de la représentation." Même si celle-ci a changé de statut et de contenu au cours des temps, elle reste à l'origine et au coeur de l'activité artistique, jusque dans les abus du réalisme/naturalisme. Or, de même que Gödel a établi l'échec définitif de la formalisation des mathématiques par les voies et les ressources d'un système formel, de même Magritte, de son côté, qu'on me permette le rapprochement, dénonce avec superbe l'échec de la formalisation iconique dans son célèbre tableau représentant une pipe et sur lequel est écrit en grosses lettres le non moins célèbre : "Ceci n'est pas une pipe". Dans les deux cas, l'échec consacre une béance qui ouvre sur un au-delà, sur le "tiers fusible", qui non pas renvoie à un imaginaire établi, mais qui achemine à un imaginaire en train de se faire .

Une nouvelle interface : du nouveau Golem à Technè-Athéna, ou la naissance d'Internet

C'est celle qu'un autre savant-artiste, ou artiste-savant, Norbert Wiener [16], annonçait déjà dans God and Golem Inc. Dieu et Golem, S.A., dont l'édition originale a été publiée il y a quelque 30 ans déjà, et dont le sous-titre précise à la fois le propos et la portée : "A Comment on Certain Points where Cybernetics Impinges on Religion". Après avoir examiné le développement de la machine qui apprend, et celui de la machine qui se reproduit ("not merely pictorial representations, but operative images "), l'auteur, dont il ne faut pas oublier qu'il est le père de la cybernétique, n'hésite pas à affirmer pour finir (ou commencer ?) : "The machine...is the modern counterpart of the Golem of the Rabbi of Prague", cette créature semi-artificielle, semi-humaine qu'on retrouve aussi bien dans la tradition magique juive (le rabbin de Prague est le plus connu) que dans les légendes orientales. Nous voilà entrés dans l'ère qui ouvre l'humanité à une Nouvelle Alliance. Désormais, c'est avec la Machine que notre destinée se scelle. Non pas la Machine mécanique d'autrefois, mais la Machine qui apprend, qui se reproduit, qui partage notre sort, bref la Machine consœur. Hyperbole ? Déjà la nouvelle frontière qu'est l'espace ne peut être franchie qu'avec elle. Privés de technologie, nous sommes ramenés à notre destin d'animal terrestre. Lever les yeux vers le ciel, c'est demander à la Machine, non seulement de réaliser notre rêve, mais de le partager.

A la manière des trépieds d'Héphaïstos [17], voici donc que les ordinateurs sont en chemin pour se rendre à l'assemblée des dieux du futur, qu'escortent les artistes à la hauteur de leur vision conjuguée. Le monde de l'art n'est pas un monde périphérique, il est au coeur de la puissance technicienne en instance de création. Dès lors, la question se pose : l'Ordinateur ne serait-il pas l'enjeu de la Métamorphose qui, à la suite d'Héphaïstos, et de Prométhée, pourrait poursuivre l'Aventure humaine à la lumière de Téchnè-Athéna , d'où est sorti, osons le dire, INTERNET [18], le superréseau qui relie plusieurs millions d'ordinateurs à plusieurs dizaines de millions de personnes, amorce d'un "méga ou méta-cerveau" dont il nous reste à aménager les circuits, plus modestement, ou plus ambitieusement, à veiller sur leur développement, en vue d'affronter l'avenir. Tâche ou mission d'autant plus importante que l'ensemble des habitants de la terre sera connecté- les prévisions [19] sont formelles - d'ici aux premières décennies du siècle prochain !

Postulat

En dépit des tendances à l'"universalité" qu'ont proposées les institutions jusqu'ici, en particulier par le truchement de l'Université, force est de constater qu'elles sont restées tributaires des limites ethno-politiques qui caractérisent notre histoire, surtout en Occident.

Le nouveau champ du savoir et de la connaissance s'identifie de plus en plus au champ de la communication et de l'information, tout comme réciproquement le champ de la communication et de l'information s'identifie de plus en plus au champ du savoir et de la connaissance en train de se faire.

Pour la première fois existent en effet des réseaux qui, Internet en est le meilleur exemple, combinent des millions d'ordinateurs et des dizaines de millions de personnes en interaction permanente au niveau planétaire.

Dans la mesure où l'Université [20] entend, non seulement recouvrer, mais "activer" son sens de l'universalité, il est dès lors évident qu'elle ne peut pas ne pas tenir compte du phénomène clé de notre époque qui, les avis convergent, est pour le moins aussi important que l'invention de l'imprimerie, dont on s'accorde à dire qu'est issue la société moderne.

Le trait décisif de cette "évolution-révolution" est qu'elle s'accomplit de moins en moins d'après les schémas d'acquisition cumulatifs pratiqués jusqu'ici, mais de plus en plus selon des processus multidimensionnels dans lesquels les concepts, les médias, les nouvelles technologies jouent un rôle toujours plus important et complexe.

Les considérations qui suivent ont donc nécessairement un tour à la fois hypothétique et expérimental. Elles n'entendent nullement, je le souligne derechef, dresser le portrait de l'université de demain. Conjectures et approximations sont de la partie tout au long de la réflexion. Mais, dans la dimension "réticulaire" [21] d'internet, les conjectures ne sont plus simplement des suppositions non plus que les approximations ne sont des affirmations floues: Les unes et les autres peuvent devenir des actes "conjonctifs", donnant cohérence et unité aux "parties" dont l'évidence s'affirme au fur et à mesure que s'accomplit leur émergence.

Trois conditions liminaires : méthode, esprit, moyens

  1. Les "caractéristiques" de l'Internet, telles que l' on line [22] , l'interactivité, l'an-archie, la connectivité, le multimédia [23] pour en citer quelques-unes en vrac, ne doivent pas être considérées comme des "causes" qui produiraient des "effets", selon la grille explicative que nous pratiquons habituellement; elles doivent être considérées comme des "conditionnants", terme que j'emploie pour indiquer que les phénomènes en question ne s'expliquent pas causalement, mais s'associent et s'éclairent par "contextualisation". Les "conditionnants" [24] opèrent à partir d'une situation donnée, ou tenue pour telle, en vue d'engendrer de nouvelles formes qui à leur tour produisent de nouveaux contextes. Ce point implique un changement de perspective et de méthode qui transforme l'approche des problèmes, et nécessite de recourir au besoin à de nouveaux termes.

  2. Quant à l' esprit même de l'entreprise, précisons qu'il ne s'agit nullement de faire le procès de l'université traditionnelle. Ce qui importe au premier chef, c'est de postuler le point d'horizon vers lequel convergent ceux qui aspirent à faire de l'UF progressivement une réalité à court, à moyen et à long terme. Si une telle démarche doit tenir compte de l'évolution globale des changements techniques en cours, elle doit non moins tenir compte des valeurs sur lesquelles on s'accorde et qui peuvent être retenues pour une action durable. Ainsi les valeurs que stipule l'Unesco [25] "la dignité et la responsabilité de l'individu, sa participation librement choisie à une ou à plusieurs communautés, l'égalité des chances, la recherche du bien commun - sont universelles, ....et peuvent être partagées et vécues collectivement". (Rapport de la Commission internationale sur l'éducation pour le vingt-et-unième siècle, 1995). De son côté la "Charte de la transdisciplinarité" [26], qui a été signée au premier Congrès de la transdisciplinarité, à Arrabida en novembre 1995, stipule dans son article 14 :" Rigueur, ouverture et tolérance sont les caractéristiques fondamentales de l'attitude et de la vision transdisciplinaires. La rigueur dans l'argumentation qui prend en compte toutes les données est le garde-fou à l'égard des dérives possibles. L'ouverture comporte l'acceptation de l'inconnu, de l'inattendu et de l'imprévisible. La tolérance est la reconnaissance du droit aux idées et vérités contraires aux nôtres." Voilà qui permet de "finaliser" (au sens de préciser une "fin") l'orientation que doit prendre l'initiative de l'université pour demain, à la fois au niveau de la réflexion et de l'action. Reste que l'une et l'autre ont besoin de moyens pour être mises effectivement en oeuvre, faute de quoi s'accumuleront les déclarations d'intention et les rapports stériles.

  3. Les moyens à mettre en oeuvre pour réaliser l'Université du futur (UF) reviennent schématiquement à établir :

    • un statut approprié pour l'UF

    • une articulation fonctionnelle ouverte

    • un poste d'observation

    • un poste de pilotage

    • des moyens financiers et techniques

L'ensemble de ces facteurs s'inspirera d'un modèle dynamique dans lequel interagiront transdisciplinarité, cybernétique [27], feedbacks [28], servo-mécanismes, systèmes non-linéaires, auto-organisation [29] etc. Impossible de l'établir a priori au départ puisqu'il lui appartiendra de gagner en complexité au fur et à mesure que nous le verrons croître sous nos yeux et qu'il s'enrichira de nouvelles ressources.

Esquisse d'une mise en oeuvre possible

  1. Les instruments de navigation (ou "browsers") se multiplient, tels Mosaic [30], surtout Netscape [31]. D'autres existent ou sont en cours, liés à Microsoft [32] (Explorer) à AT&T [33] ou à quelque autre puissant groupe. Quels qu'ils soient, ou seront, leur objectif reste néanmoins le même : donner aux utilisateurs les moyens de naviguer dans les réseaux à la fois le plus efficacement et le plus économiquement possible, en particulier sur Internet, en assurant une "convivialité" toujours plus affirmée, et des performances toujours plus sophistiquées. A quoi répondent par exemple les agents dits intelligents qui apprennent en fonction des comportements et des désirs de l'utilisateur.

    La métaphore aidant, le navigateur, comme son nom l'indique, est donc à la fois le moteur et le véhicule, en un mot l'instrument privilégié de l'UF . C'est grâce à lui que l'Océan des nouvelles connaissances, pour prolonger la métaphore, peut être exploré. Son équipement toujours plus "pointu" permet d'assurer des voyages toujours plus nombreux, toujours plus complexes. Réciproquement la multiplication des voyages toujours plus complexes ne cesse d'enrichir l'"océan" des possibles, engendrant en retour une sophistication toujours plus élaborée. Dans la cybersphère [34] en expansion, les instruments de navigation jouent en quelque sorte le rôle que tiennent les langues avec leurs logiques et leurs rhétoriques respectives dans la Logosphère, celles qui s'articulent depuis des siècles au moyen de concepts dans un contexte lui aussi essentiellement conceptuel.

  2. De leur côté, et en accord avec les nouvelles technologies, se développent les répertoires-guides [35] généraux qui répertorient en les classant la plupart des nouveaux serveurs. Ainsi "Yahoo "[36], l'un des plus performants, dénombre une moyenne de mille nouveaux sites chaque jour. Ce qui déconcerte de prime abord, mais une pratique quotidienne, ainsi celle qui est mienne depuis près de trois ans, permet assez aisément de se reconnaître parmi les rubriques. Toutes proportions gardées, n'en va-t-il pas de même quand on entre dans une librairie ou une bibliothèque ? Personne ne s'aviserait de lire tous les titres l'un après l'autre. Notre pratique de lecteur nous oriente et nous fait mettre très vite la main sur ce qui nous intéresse. Dans le cyberspace ou cybersphère, comme je préfère l'appeler par comparaison avec la Logosphère, c'est une "internau-pratique" qu'il s'agit d'acquérir et qui fournira à chacun des informations et des procédures nouvelles d'apprentissage (an. Yahoo, rubriques et sublistings etc).

  3. Progressivement se mettent en place, à côté des répertoires-guides généraux, des répertoires particuliers , tels ceux de toutes les universités [37] . de tous les instituts , de toutes les bibliothèques , de très nombreuses librairies , de tous les musées , bref de tous les instruments de conservations du savoir. L'entreprise est en cours par l'entremise d'organisations existantes, universités, instituts, bibliothèques, musées, ou par l'entremise de particuliers. Il n'est pas de jour que ne naisse ou ne s'enrichisse une telle bases de données. Nombreuses sont les personnes privées qui, par intérêt personnel, contribuent de leur côté à la constitution de bases de données concernant tel ou tel sujet qui leur est cher. Cette dernière initiative est aussi originale que significative. Le nombre et la flexibilité des bases de données s'enrichissent d'apports hors institutions.

  4. A noter encore qu'à la différence des institutions traditionnelles, les bases de données électroniques sont toutes accessibles à quiconque via Internet sans restriction (pas de consultations limitées, ni d'heure d'ouverture fixes). On a peine à imaginer l'étendue d'une telle révolution. L'instance "encyclopédique", qui a donné lieu à des entreprises aussi ambitieuses que le Speculum majus [38] au Moyen Age ou l' Encyclopédie [39] de Diderot et d'Alembert au XVIIIe siècle, sont à la portée de tous, comme le sont aujourd'hui l' Encyclopedia Britannica [40] , ou, pour l'instant encore sur CD-Rom, l' Encyclopaedia Universalis. L'entreprise encyclopédique trouve pour la première fois la mesure de son ambition étymologique ( encyclopédie : savoir global), et les moyens de l'exercer, pour la première fois aussi hors des schèmes réducteurs de la conception occidentale (cf. les databases des cultures extra-occidentales [41], Chine, Egypte, Mongolie, cultures africaines amérindiennes).

  5. A la différence des universités traditionnelles (UT), qui ont privilégié et continuent de privilégier des "savoirs spécifiques" sous la forme de "disciplines" associées à des chaires ou à des départements eux-mêmes spécifiques, sous la "tutelle" de l'organisation hiérarchique, le plus souvent renforcée par des Ministres ou des homologues politiques ou administratifs, l'Université du Futur (UF) mettra l'accent sur les voies transdisciplinaires , plus largement sur les voies transversales du nouveau champ de la connaissance-information qui se constitue par une dynamique permanente.

  6. La physique, la rhétorique, la logique, la métaphysique, telles que les ont établies les humanités depuis des siècles, non pas disparaissent, mais se métamorphosent dans la dynamique des réseaux. Par une analogie quelque peu forcée, on pourrait dire que l'UF, si elle récuse, comme Aristote [42] l'a fait, l'idéalisme de Platon [43], conserve et entretient au premier chef l' esprit de dialogue que le philosophe a conféré à son Académie, et, d'autre part, que si elle récuse le dogmatisme qu'on a à tort prêté à Aristote, elle conserve et développe l'esprit d'ouverture à l'expérience que le philosophe a conféré à son Lycée. Tout comme nous avons affaire à une nouvelle dialogique, nous avons affaire à un nouvel Organon . Ces références n'ont rien d'absolu; elles servent seulement à situer la Connaissance et l'Enseignement à partir de leurs racines communes.

  7. L'UF instaurera un tel esprit "mobile" grâce à la connectivité généralisée des réseaux. En plus des serveurs et bases de données de toutes sortes en permanence à disposition, il devient pour la première fois possible, non seulement d'établir et de poursuivre des relations avec des correspondants connus, mais d'inaugurer et de développer des relations avec des "inconnus", soit par messagerie électronique, ( e-mail [44] ), soit par newsgroups [45] (groupes d'intérêt commun participant à des échanges on line ).

    Certes, la confusion et le gaspillage sont plus qu'une menace. Mais la confusion et le gaspillage sont-ils moindres dans les "échanges" que nous pratiquons habituellement par le courrier, le téléphone, ou les conversations familières ? Il est néanmoins remarquable que certaines intuitions fécondes naissent précisément à de telles occasions, comme si leur caractère "désordonné" ne les empêchait pas d'être grosses de nouvelles configurations, ainsi que nous l'apprennent par exemple la théorie du chaos ou celle de l'auto-organisation.

  8. Grâce à ces possibilités de connectivité quasi-illimitée, l'UF s'attachera sur Internet à encourager le multiculturalisme , non plus théoriquement ou au niveau des déclarations d'intentions qui font l'ordinaire des institutions nationales et internationales, mais dans l'exercice même du réseau par les "internautes" de tous les pays dont le nombre ne cesse d'augmenter. (Cf. Yahoo, rubrique : Cultures , qui dénombre de nouveaux serveurs presque chaque jour. De la pratique du multiculturalisme émergera une "Trans-culture" d'abord avec trait d'union, qui ne sera plus simplement définie intellectuellement au moyen des concepts, et dont "Transculture" (en un mot) deviendra bientôt un phénomène de civilisation avéré.

  9. Ce point capital éclaire la différence entre une définition à laquelle on procède d'ordinaire à partir d'un cadre de référence donné et au moyen des instruments de pensée traditionnels, et la mise en oeuvre d'une pratique nouvelle qui met en question les cadres et les concepts reçus. Telle est bien la difficulté : d'une part, nombre d'éléments nous échappent parce qu'ils ne sont pas encore pleinement venus au jour; d'autre part, nos modes d'observer et de comprendre habituels nous empêchent de les accueillir et de les interpréter correctement. L'expérience se démarque de celle des UT qui reste en grande partie tributaire des "disciplines" imbues de l'ordre académique. En revanche l'UF encouragera l"esprit "heuristique " [46]. Loin de s'enorgueillir des seuls résultats ou "successes", elle favorise la réflexion sur la découverte en train de se faire. Écartant la mainmise de l'autorité, elle entend réfléchir sur les processus dans lesquels elle s'engage en même temps qu'ils s'accomplissent.

  10. Il ne s'agit nullement de rejeter les "disciplines classiques"; il s'agit bien davantage de les resituer. Schématiquement, cela revient à dire qu'une discipline se révèle légitime dans la mesure où l'objet qu'elle choisit, l'axe de pertinence qu'elle adopte, la méthode qu'elle pratique, les principes et les modes d'évaluation et d'appréciation qu'elle établit restent limités au champ de connaissance qu'elle circonscrit. Certes, une extension des mathématiques, de la linguistiques, de la biologie à d'autres domaines peut être d'un certain intérêt, et même favoriser le mouvement d'autres disciplines. Le seul abus condamnable est quand une "discipline" se promeut, ou est promue comme la discipline ultime, seule capable d'éclairer et d'expliquer tout le champ de la connaissance. C'est à une telle disposition que l'on doit tant de distorsions, tant d'abus. Il n'est que de se rappeler la funeste aventure de Lyssenko [47], dont le pouvoir politique avait fait la seule science officielle. Toute "officialité", directement établie par le pouvoir politique, ou par le pouvoir institutionnel (les mandarins de l'establishment scientifique et universitaire) se heurte à l'ouverture requise par l'attitude transdisciplinaire, plus largement, par la pensée transversale, nourricière de la complexité.

  11. Forte de cette orientation, l'UF rejettera toute tentation de racisme, toute forme, même larvée, d'ethnocentrisme, pour développer le sens d'une universalité complexe , c'est-à-dire qui tienne compte de la diversité et de l'hétérogénéité, dont la fécondité est devenue un fait d'évidence aujourd'hui. Notre identité cessera de se confondre avec les frontières psychologiques, politiques, bref avec les frontières mentales qui font encore obstacle à notre ouverture. Il ne s'agit pas davantage de contracter "plusieurs" identités dans un syncrétisme de circonstance aussi vague que douteux. Il s'agit, à la faveur du multi-, de traverser le "plusieurs" pour aller vers une trans-identité expérimentée avec et dans le Réseau .

  12. L'UF on line [48] , en ligne, permet des échanges en temps réel à travers la planète entière. Cette condition, sans précédent dans l'histoire, offre pour la première fois aux internautes la possiliblité de disposer d'un champ de connaissance en prise directe. Jusqu'ici, tout accès à la connaissance a été presque toujours en différé, par le truchement de l'école, du livre, bref de l'ensemble des moyens d'information classiques. Là encore, ne commettons pas la méprise d'opposer le direct au différé , l' on line à l' off line [49] . Si l'on peut dire que l' on-line prédispose à une régulation quasi-immédiate, particulièrement propice à l'information, alors que l' off-line prédispose à une durée propice à la réflexion, l'erreur serait, encore une fois, de les opposer radicalement. Dans la pratique du Réseau, immédiateté et durée dépassent un simple rapport de complémentarité pour se combiner paradoxalement en un processus d'une nouvelle complexité.

  13. Cette condition prédispose à une nouvelle transformation, dont on n'a pas encore pris suffisamment conscience. Du fait que les internautes peuvent intervenir en direct et même, comme nous le verrons ultérieurement, "créer " [50] des informations et des serveurs sur le Réseau, la relation généralement établie par la communication traditionnelle, et encore récemment par les mass media , change de fond en comble. Celle-ci revient en fait à distinguer, d'une part les "émetteurs," de l'autre, les "récepteurs" ou "consommateurs", comme on les appelle; tout comme elle revient encore à distinguer, d'une part, le "spectacle", de l'autre, le "téléspectateur". Cette relation, invétérée par des décennies de télévision, commence à se transformer grâce au Réseau en une relation d'un nouveau type, auquel je n'hésiterais pas à appliquer le néologisme de "inter-acteurs " [51]. Ce que laisse sans doute préfigurer le mot aujourd'hui rebattu d' interactivité , que l'on réduit couramment à la pratique des jeux informatiques. Or la possibilité pour chacun de pouvoir effectivement intervenir et, plus précisément, d'interagir selon des modalités toujours plus complexes, ouvre la voie à une condition nouvelle. Tout homme est poète, tout homme est artiste, ne craignaient pas de proclamer les surréalistes, sans compter Beuys qui en avait fait son credo. Espoir ou utopie, les internautes voient leurs faits et gestes élargis à de nouveaux horizons qu'ils contribuent à édifier.

  14. De même s'élabore une nouvelle relation entre enseignant et enseigné . L'Enseignement traditionnel, avec ses structures scolaires et universitaires telles que nous les connaissons encore, se fonde sur la distinction des rôles alors que la pratique du Réseau prédispose à leur partage , introduisant une souplesse qu'on peut qualifier d'auto-modulante. Encore une fois, il ne s'agit pas d'abolir l'enseignement traditionnel, mais de le régénérer. Ce à quoi se sont essayées depuis plusieurs décennies des institutions pionnières comme la célèbre Open University [52] , qui n'a cessé d'essaimer, ou plus récemment le programme international d'éducation K-12 [53] . Ainsi la relation traditionnelle de maître à élève tend à se moduler en une relation de partage où l'autorité (étymologiquement, "ce qui augmente", et dont on a fait abusivement l'apanage des "auteurs", littéraires ou artistes) favorise de nouvelles formes de "partenariat" ou de ce qu'on appelle aujourd'hui "réalité augmentée", soit la mise en oeuvre des objets ordinaires "augmentés" des nouvelles capacités fournies par le traitement de l'information ("La Recherche", No.285, mars 1996 ) [54].

  15. Les activités de l'UF bénéficieront pratiquement - c'est encore un trait nouveau - d'une extension sans limite, puisqu'elles peuvent s'exercer partout et n'importe où dans le monde . La proximité n'est plus territoriale, mais réticulaire. Ce qui ne signifie pas que l'UF sera, comme d'aucuns le redoutent, déterritorialisée (Virilio). Mieux vaudrait dire, dans un sens positif, qu'elle sera a-territorialisée ; non pas privée de territoire ni amputée de la territorrialisation; mais n'ayant plus besoin ni de territoire ni de territorrialisation, ce qui est tout différent. Ce faisant, elle mettra au jour l'appropriation de l'Université qu'en ont faite au cours de l'histoire les Etats-nations dont l'hégémonie, Denis de Rougemont [55] l'avait pressenti très tôt, est en train de décliner. Il ne s'agit pourtant pas non plus de décréter leur fin, mais d'envisager les moyens de favoriser le passage de l'ordre étatique traditionnel à la dynamique du Réseau, ferment de l'évolution.

  16. A la différence des techniques à dominante "monomédia", tels le livre, l'imprimé, la radio, ou même, dans une certaines mesure, la télévision elle-même, l'UF mettra l'accent sur les multimédias interactifs et intégrés , c'est-à-dire qui effectivement Intègrent, et non seulement additionnent, données, son, images stables ou mobiles, en 2 ou en 3D. CD-Roms, encyclopédies dictionnaires électroniques ne sont qu'une première étape. Peu à peu l'informatique permettra de se préparer à la connaissance et à la pratique des nouveaux modes de communication, jusqu'aux "applets " [56] de Java [57] qui se mettront à la portée de tous sans nécessiter de savoir technique ou de puissance informatique particulière. La connaissance ne se débitera plus en "produits", quelque prestigieux qu'ils puissent être; elle se fera de plus en plus au cours des multitudes d'interactions qui auront lieu entre les internautes.

  17. Cette condition entraîne un pouvoir d'interaction d'un nouveau type. Il ne s'agit en effet plus simplement de tirer parti des règles à la manière dont les jeux les proposent, c'est une disposition à la créativité globale qui émerge. Celle-ci ne se borne plus à pratiquer avec habileté un ensemble de règles dans un système donné, ludique, ou non ludique, tel le "problem solving" par exemple; elle désigne l'aptitude de l'esprit à créer des formes et des structures qui, se distinguant des formes et des structures établies, proposent un nouveau départ, comme l'imprimerie l'a été, pour rappeler un exemple classique.

  18. Dans cette perspective, il n'est pas exagéré de dire que l'UF fera de la créativité ainsi précisée à la fois son inspiration et sa raison d'être. Alors que les institutions traditionnelles excellent dans les systèmes de reproduction, comme l'ont bien mis en évidence les sociologues à propos de l'université, (cf. article Université "Encyclopaedia Universalis)", l'UF s'efforcera de tirer parti du Réseau pour "inventer" . Au lieu de se consacrer aux moyens de s'adapter , comme ne cessent de le réclamer les milieux politiques et économiques, elle devra faire preuve d'esprit d'initiative , qui se manifestera, précisément, par des initiatives. Ceci n'est pas clause de style, ni simple souhait. De nos jours la réflexion ne peut plus se borner à une rétrospection, fût-elle savante. L'esprit d'initiative est l'un des aspects de la créativité, aspect d'autant plus important que la mouvance de notre situation exige de le mettre en oeuvre au jour le jour.

  19. Précisons encore que la créativité ne se confond pas avec l'innovation. L'innovation, intervient dans des domaines particuliers et se met généralement au service d'intérêts eux-mêmes particuliers, techniques, économiques, politiques. La créativité se veut une inspiration et un état d'esprit au bénéfice de l'intérêt général. Souvent les démarches et les processus sont semblables, ils divergent néanmoins quant à leurs fins respectives. Au moment où la production industrielle fait de l'innovation son credo, il importe de souligner que l'UF s'inspirera de la créativité "publique", ce qui n'exclut pas certaines formes de coopération. Encore convient-il de dissiper confusions et ambiguïtés, toujours prêtes à survenir dans un champ dont le propre est de se générer et régénérer en permanence.

  20. C'est dire que l'UF - difficulté majeure, mais aussi gageure majeure - se doit d'inventer un nouveau modèle d'organisation. Pour éclairer ce point décisif, on peut schématiquement faire les distinctions suivantes, en précisant que le terme de modèle ne se réduit pas à un système isolé, mais qu'il désigne ici un ensemble de traits dominants destiné à éclairer sa nature à l'intérieur d'un contexte "modulaire" global :

    Le modèle "hiérarchique-programmatique" : il part d'une volonté initiatrice, généralement déclarée ou tenue pour rationnelle, qui se fixe des objectifs à atteindre au moyen d'une stratégie déterminée. Celle-ci recourt après analyse à des techniques appropriées, le résultat, souvent appelé impact, pouvant faire l'objet de mesures. "Hiérarchique", souligne le fait que le modèle s'ordonne de haut en bas, "programmatique", le fait qu'il se conçoit, se déroule et s'évalue en fonction de programmes, c'est-à-dire d'opérations réglées en vue d'atteindre l'objectif fixé le plus efficacement possible et au moindre coût. C'est le modèle qu'on retrouve dans toutes les institutions traditionnelles, administrations et universités, où il est sous-tendu par le principe d'autorité et de pouvoir. Efficace dans une société stable, il l'est de moins en moins dans une société en mouvement comme la nôtre.

    Le modèle cybernétique [58] : A partir d'un effecteur, mécanisme destiné à produire un certain "effet", des "facteurs" sont établis pour assurer le fonctionnement du système au moyen de feedbacks ou rétroactions. Si le système vise l'effet de stabilité, comme dans un thermostat réglé à 20 degrés, la rétroaction dite "négative" (cybernétiquent de signe inverse de celui du facteur) maintient le système en l'état (homéostasie). En revanche, la rétroaction dite "positive" (du même signe que celui du facteur) provoque une augmentation de capacité qui peut finir par causer la ruine du système (runaway). Description simpliste, dont je m'excuse, mais qui permet d'éclairer la notion de niveaux d'organisation comme celle de structures temporelles. Ainsi l'on peut dire que le système institutionnel, administratif ou universitaire, souscrit à la première forme, soit, sans ironie, au maintien de son état. A l'opposé, le libéralisme économique, tel qu'il sévit trop souvent aujourd'hui, entraîne une rétroaction "positive" (au sens cybernétique), sous-tendu par le schéma clausewitzien qui fait de la victoire totale l'objectif de toute stratégie (ainsi le marché mondial est devenu l'enjeu et le champ de bataille de toutes les entreprises).

    Le modèle "transdisciplinaire", auquel je me suis référé plus haut, introduit un double enrichissement. D'une part " la transdisciplinarité concerne, comme le préfixe "trans" l'indique, ce qui est à la fois entre les disciplines, à travers les différentes disciplines, et au-delà de toute discipline. Sa finalité est la compréhension du monde présent , dont un des impératifs est l'unité de la connaissance". Et l'auteur du manifeste de préciser: " La recherche disciplinaire concerne , tout au plus , un seul et même niveau de Réalité ... En revanche, la transdisciplinarité s'intéresse à la dynamique engendrée par l'action de plusieurs niveaux de réalité à la fois. Les trois piliers de la transdisciplinarité - les niveaux de réalité, les nouvelles logiques (dont la logique du tiers inclus) et la complexité- fondent la méthodologie de la recherche " (Basarab Nicolescu).

    Le modèle de l'auto-organisation [59] : il postule qu'un système produit spontanément des propriétés spécifiques en accédant à un niveau d'organisation plus global. A l'écart de l'enchaînement des causes et des effets qui caractérise les systèmes classiques fondés sur la hiérarchie et les programmes, il met l'accent sur le principe d'autonomie à partir de l'instabilité telle que l'éclairent en particulier la théorie du chaos et celle des systèmes non-linéaires. Tant la biologie, la chimie, la physique, que la physiologie, la médecine, les neurosciences, sans doute aussi la psychologie, et jusqu'aux "créatures informatiques" ont donné lieu à des illustrations aussi nombreuses que saisissantes (Intelligence distribuée dans l'organisation des fourmis, des abeilles, des termites, "The Game of Life " [60] de Conway ou le Tierra Project [61] de Tom Ray). Ce qui est mis en lumière dans ce modèle, c'est que des éléments simples peuvent acquérir des comportements complexes [62] en gagnant un niveau d'organisation supérieur, et cela sans l'intervention d'un quelconque programme, ni intérieur ni extérieur.

    A ces quatre modèles, j'aimerais, non pas en ajouter un cinquième, mais proposer une nuance, qui pourrait les acheminer vers une orientation commune. Si les nouvelles formes naissent spontanément du "désordre", les "initiatives", individuelles ou collectives, tout en faisant partie du "bruit", comportent des éléments personnels à prendre en compte. Ce n'est pas revenir au modèle classique, comme si une volonté cachée était subrepticement à l'oeuvre. Ce n'est pas non plus se rendre au modèle de l'auto-organisation, comme si les propriétés nouvelles émergeaient purement et simplement du "désordre". A défaut de parler d'"auto-poiésis," au sens de Varela, dont la notion d'"enaction" me paraît très proche, il me semble préférable, et légitime, de qualifier le modèle que nous cherchons d' auto-créatif , les deux termes unis par le trait d'union soulignant le fait que l' homme et la machine s'élèvent par une action commune à un nouveau niveau de réalité. L'intelligence partagée ne se borne pas à comprendre ou à expliquer le réel; elle le construit. Telle est probablement la gageure la plus difficile à tenir. De nos jours, la notion même de modèle s'écarte autant de la prescription que de l'explication. Elle devient à son tour dynamique, le trans- s'interdit toute clôture pour accéder et donner accès aux réseaux, à l'expérience collective qui transforme progressivement le modèle en mouvement.

  21. C'est dire que l'UF devra se tenir en alerte à l'égard de tous les indices qui attestent du changement, d'autant plus difficiles à déceler qu'ils affectent très souvent la forme de "tourbillons" frivoles ou éphémères, tels la mode, la publicité, l'emballage, la musak (musique industrielle), les divertissements, les gadgets, les caprices, les humeurs, les "surgissements médiatiques" (Michael Jackson, Madonna, Johnny Halliday), mais encore les mythes, les fables scientifiques (mémoire de l'eau, OVNI), "tourbillons" qui pourraient bien se révéler, à l'image des "tourbillons" de Bénard [63] pour la théorie du chaos, aussi significatifs d'un changement d'état global, sans compter l'"effet papillon" - un battement d'ailes à Pékin peut provoquer un cyclone en Arizona - la photo "adultère" de Lady Di en compagnie d'un écuyer qui met en péril la couronne d'Angleterre !... Je n'entends pas forcer les termes pour cautionner des phénomènes qui échappent le plus souvent, mais dans lesquels un Roland Barthes, un Goffman, un Abraham Moles [64], avaient très tôt décelé des significations prégnantes. D'autant plus difficiles à saisir, il est vrai, qu'elles ne prêtent guère prise à nos grilles d'interprétation familières. Mais la situation est en train de changer.

  22. A preuve les "hybridations qui ne cessent de proliférer. Ainsi tout ce que l'on réunit aujourd'hui sous le terme de "cyberculture"; ainsi l'éclosion des cybercafés qui introduisent un espace inconnu des cafés et des bistrots traditionnels. Une nouvelle convivialité s'y développe entre clients, à la fois voisins de table et assidus d'Internet. De tels sites vont se multipliant. (cf. Yahoo : cyberculture ) [65]. Davantage, de nouveaux "genres" se sont constitués, celui d' " edutainment [66] " par exemple, hybridation de "education" et "entertainment". Il s'agit des productions qui, sous la forme de CD-Roms, mais aussi de sites Internet, visent à transmettre des connaissances en les rendant plaisantes et agréables à acquérir. En cela, ils se distinguent des "didacticiels" classiques, qui s'en tiennent au modèle "programmatique" de l'enseignement. Il ne s'agit nullement de trancher au nom d'une logique catégorique devenue caduque; il convient bien davantage de mettre en lumière les amorces d'évolution en cours qu'on trouve généralement en vrac dans les médias, dans la rue, dans les magasins, pêle-mêle images, nouvelles et faits divers qui, de prime abord sans importance, se révèlent par la suite constitutifs de "l'air du temps". Autant de "tendances" (trends) d'où naîtra, sans même qu'on y prenne garde, telle ou telle "bifurcation", qui infléchira pendant un certain temps, précisément, ce qu'on appelle "l'air du temps", en attendant qu'une nouvelle bifurcation, qu'une nouvelle tendance lui succède. Exemple typique, la télévision. D'abord tenue pour un simple "à côté" de l'information sérieuse que sont la presse et les livres, elle est devenue en quelques décennies l'instrument d'information universel, d'autant plus prisé qu'elle mêle allégrement tous les genres, ravivant en chacun de nous le principe de plaisir dont parle Freud. La multiplication des chaînes et l'instauration de la technique numérique promettent à l'avenir de nouvelles formes de télévision dont on ignore, fabricants, distributeurs et public, lesquelles vont se "viabiliser" ou, plus clairement, s'imposer sur le marché. L'accélération technologique se traduit par une volatilité (encore les "tourbillons" ?) dans laquelle le moindre souffle peut entraîner des effets imprévisibles.

  23. Le terme même d' hybridation est significatif . Cyberculture et culture ne s'opposent pas terme à terme. Dans la société instable qui est devenue nôtre, les contenus cessent d'être conformes au rubricage des contenants habituels. Les catégories se font perméables aux mélanges. C'est dans cette "mixité" en train de se produire que les phénomènes nouveaux prennent forme. Toute pensée réductrice les manque ou les déforme. Or le changement est devenu si général et si permanent que nous devons apprendre à penser et à agir dans le mouvement même.

  24. La question qui se pose est donc celle-ci : quel statut éventuel peut-on envisager pour l'Université du Futur ? A défaut de fournir une réponse, on peut esquisser un certain nombre d'éléments à titre de suggestions :

    Pour coordonner ses activités, et non pas simplement les diriger et les administrer, l'Université du Futur aura besoin d'une organisation assez souple pour tenir compte à la fois de la mouvance générale de l'époque et de l'accélération quasi exponentielle de la technologie, tout en maintenant le cap sur les valeurs qu'elle entend respecter et promouvoir. Il ne s'agit donc plus d'ajouter une institution à celles qui existent, ni même d'entreprendre de les réformer; il s'agit d'inventer, de créer, - telle est la gageure - l' "attracteur" susceptible d'engendrer et d'orienter la réflexion et l'action.

    Un bon modèle pourrait être celui-là même de l'"Internet Society " [67] qui se définit comme "une organisation globale et internationale destinée à promouvoir l'interconnexion ouverte des systèmes et l'Internet". Ce souci d'ouverture va jusqu'à permettre à quiconque intéressé d'en faire partie. La porte est donc ouverte à l'UF si elle le désire.

    L'agent moteur de l'UF pourrait s'inspirer du modèle du Conseil de Gestion (Board of Trustees), élu par les membres de l'ISOC. Plus qu'un statut juridique, il s'agit de mettre en place une véritable éthique qui assurerait la collaboration des membres du Conseil. A l'instar encore de l'ISOC, différents autres comités se chargeraient, selon les besoins, et dans le même esprit , d'organiser le travail, les uns mettant l'accent sur le développement des techniques, les autres se chargeant de l'évaluation régulière de l'UF, à quoi s'ajouterait, sur le modèle de la "Research Task Force" d'Internet, une Task Force UF destinée à réfléchir sur le long terme.

    A commencer par le CIRET, auquel l'UNESCO a confié un mandat précis en la matière, et dont le statut d'association garantit le minimum de contraintes. Un comité ou équipe de direction permettrait de prendre et de coordonner les initiatives dans le même esprit d'ouverture que seraient décidés les choix les plus appropriés. L'histoire d'Internet et du A HREF="#n68">World Wide Web [68], dont je ne peux faire état ici, montre bien l'originalité d'une entreprise qui, née sous des auspices militaires, reprise par les universitaires, gagne depuis peu le grand public et le monde des affaires, jusqu'à devenir, au-delà même des autoroutes de l'information, dont on ne cesse de parler, l'immense réseau de communication couvrant progressivement la planète entière. On y saisit, à même le mouvement sans précédent qui s'accomplit, les formes et les structures auxquelles l'UF se doit de participer pour contribuer à "piloter" notre entrée dans le XXIe siècle.

    L'UF organisera périodiquement des rencontres (conférences, colloques, séminaires, etc), pour mettre au point son développement à la fois dans son fonctionnement et son extension dans le monde. Ces rencontres auront lieu on line sur le Net, à partir d'un ou de plusieurs serveurs UF. Elles seront encouragées et développées par des Newsgroups (BBS, Usenet) qui agiront comme autant de "boucles" actives à l'intérieur de l'UF en formation permanente. Cette activité se doublera de l' e-mail généralisé qui manifestera les liens personnels entre les internautes, membres ou non de l'UF, au bénéfice d'une communauté internationale grandissante.

    D'autres rencontres périodiques auront lieu dans des lieux différents. La présence physique des participants reste une dimension que la "virtualisation" du Réseau on line ne saurait ni effacer, ni remplacer. Ce point est d'autant plus important qu'il souligne un des traits marquants de l'évolution en cours : il ne s'agit en effet pas de choisir entre la présence physique et la présence virtuelle, comme si elles s'excluaient l'une l'autre. L'existence on line et l'existence off line ne peuvent désormais plus être simplement opposées. Nous participons toujours nombreux, toujours plus intensément, à leur hybridation. Cette amorce de métamorphose (?) donne lieu à des modes de coexistence d'un nouveau type.

    Dans cette entreprise, l'UF aura à coeur de repérer les sites qui poursuivent des projets similaires afin d'établir avec eux une collaboration effective et directe. Ainsi naîtra une sorte de "méta-organisation", non pas "supérieure", non pas "programmée" d'en haut, mais d'autant plus féconde qu'elles comptera plus de "co-auteurs" travaillant depuis la base selon la même orientation (quelques exemples sont donnés dans l'Appendice)

    En résumé l'UF, telle que je l'imagine, n'est pas une institution de plus, ni une "super-université" qui compterait des facultés et des départements supplémentaires. Elle n'est pas non plus le fait d'un Etat ou d'un pouvoir politique, économique ou religieux. Elle est et se veut autre chose à la façon de l'esquisse qui a en a été tracée.

Dans quel contexte?

Au moment où les Etats-nations sont menacés par les grandes entreprises économiques, l'UF se doit de rivaliser avec elles sur un point décisif. Désormais, tout champ d'action est et ne peut être que mondial. Mais s'il est dans l'intérêt des IBM. Microsoft, Matsushita comme des General Motors, Esso, Shell, ou encore de Ted Turner, Rupert Murdoch, Bertelsmann de transformer la planète en un marché mondial, il n'est pas question d'abandonner aux Groupes-Géants de la technique et de l'économie le pouvoir de façonner l'imaginaire de nos enfants, comme ils y sont déjà parvenus à l'intérieur des empires composites, sans cesse renforcés par de nouvelles "megafusions", qu'emblématise l'omniprésent Disney. Disneyland, c'est déjà plus qu'un pays, c'est un monde "Disneyworld" ! dont l'élixir ne peut être que Coca-Cola.

La partie est rude, elle n'est pas désespérée. La libéralisation sans limite de l'économie, comme l'hégémonie du marché, ont conduit à des excès dommageables, finalement aux entreprises elles-mêmes. C'est ce dont on s'avise au fur et à mesure que la "crise", qui perdure en se complexifiant, dépasse le cadre strictement financier et économique. S'impose une mise en question générale de la société, en particulier sur les rapports entre l'économie, le travail et l'environnement. Les réponses simplistes ne sont plus de mise. La "shareholder society", qui tient compte du seul intérêt des actionnaires, et qui a triomphé au cours de ces dernières décennies, montre de plus en plus ses limites, comme le modèle hiérarchique et programmatique qui l'accompagne. Déjà l'on pressent que de nouvelles forces sont à l'oeuvre, qui ne se bornent pas à remplacer les précédentes, mais qui construisent le nouveau champ de forces que requiert une globalisation toujours plus affirmée. De toutes parts se manifestent des initiatives dans ce sens, où l'ensemble des acteurs et des facteurs entrent en jeu. Ainsi le NetDay [69] du 9 mars 1996, qui a rassemblé deux jours durant des moyens et des bonnes volontés en vue de mettre quelque 13000 classes californiennes sur Internet, initiative à laquelle ont pris part entrepreneurs, salariés, collectivités locales, nationales, sponsors, le président des Etats-Unis, Bill Clinton, mettant lui-même la main à la pâte (métaphore que je conserve pour la saveur de cette vaste entreprise collective !). Non moins révélateur le geste de George Soros [70], le milliardaire américain, qui vient de consacrer quelque 100 millions de dollars aux universités russes défavorisées pour se brancher sur Internet. Faut-il encore citer, autre signe non moins révélateur, les logiciels que d'innombrables bénévoles ont inventés et mis gratuitement sur le réseau, sous le nom de "freeware", symbole d'une nouvelle solidarité qui, pour être immatérielle, n'en est pas moins réelle, et efficace.

Dans cette prodigieuse entreprise en cours, l'UF se doit de revendiquer sa part d'espoir, comme sa part de responsabilité. Elle y parviendra, je le souligne derechef, non pas par des mesures d'adaptation, comme on ne cesse de le répéter, mais en faisant preuve d'un esprit d'initiative à la hauteur du défi qui nous est lancé. Les structures qui ont eu cours jusqu'ici, et dont il est difficile de contester l'efficacité et la légitimité, se révèlent être des structures de transition, et donc sujettes au "flétrissement" ou, pour le dire du terme utilisé dans le préambule, à l'apoptose.

Si ce qui été exposé annonce bien la métamorphose en cours, tout au moins en suggère les délinéaments, ne pourrait-on pas postuler que l'Université dont il est question dans ces "prolégomènes", et qu'en raccourci j'ai appelé l'Université du Futur peut, et même doit sans retard commencer par établir l'Observatoire et le poste de pilotage dont notre société en devenir a besoin pour l'orienter et lui donner sens ?

RENÉ BERGER


Addendum

Search Engines et documents vivants
au service de l'Université du Futur



Search Engines et documents vivants vont certainement jouer un rôle essentiel dans la mise en place de l'UF. Le premier va participer à sa structuration, le second à sa diffusion.

Quelle structure pour l'UF?

Tout système d'information se structurant autour des actions se caractérise généralement par une approche fonctionnelle descendante. Cette approche s'appuie sur l'idée que l'objectif final doit s'obtenir par une décomposition pas à pas, d'une méthode de haut niveau d'abstraction comme former un ingénieur ou un médecin . Dans la plupart des cas, cette décomposition prend la forme d'un arbre, que l'on parcourt de haut en bas, d'un niveau d'abstraction élevé vers un niveau qui l'est moins. Cette décomposition descendante a des points forts. Elle est rassurante, réfléchie et logique. Mais elle peut conduire à de véritables impasses voire désastres quand on songe aux conséquences de l'atomisation du savoir: " Est-il nécessaire que la connaissance se disloque en mille savoirs ignares ? " comme se le demande Edgar Morin. Cette idée d'atomisation poussée à l'extrême peut d'ailleurs conduire à l'effondrement de tout l'édifice.

L'UF ne peut se réclamer de cette approche. Elle doit oublier l'objectif immédiat, oublier la fonction qu'elle est censée réaliser: " Ne commencez pas par demander ce que fait le système, demandez à quoi il le fait! " (Bertrand Meyer) pour reprendre un dogme dans un tout autre contexte, celui de la conception de logiciels par objets . L'UF doit s'inspirer de l'idée d'auto-organisation où des entités autonomes interagissent, inter-rétroactent, inter-dépendent. Les comportements des ces entités sont connus à travers une interface . Cette interface délimite un intérieur et un extérieur, c'est le lieu des échanges. L'organisation interne d'une entité n'affecte et ne compromet pas le fonctionnement d'une autre. Certaines entités seront "ouvertes" si elles sont disponibles pour des extensions, d'autres seront "fermées" si elles sont prêtes à l'emploi. Sur cette base, on va établir les cartes d'interfaces à l'image des premières cartes géographiques, sous l'action de découvreurs d'un nouveau type. Il ne s'agit pas de classer. Ces cartes sont destinées à fournir des point de repérages ou d'ancrage dans l'UF. Il y a ni bon ni mauvais chemin. On ne parcourt pas l'UF de haut en bas, puisque l'UF n'a ni haut ni bas. On ne rentre ni ne sort de l'UF, puisque l'UF n'a ni point d'entrée ni point de sortie, on est dans l'UF, on est l'UF , de la première seconde à la dernière. On n'est pas diplômé de l'UF, on se nourrit et on nourrit l'UF. On ne devient pas un maître de l'UF par nomination ou promotion. On est maître de l'UF par consensus approché .

Ces cartes se construisent et s'affinent de jour en jour sous nos yeux sous l'action des search engines . Ces outils de recherche font l'état des lieux de l'UT sur lesquels l'UF s'édifie. Ils induisent un phénomène de cellularisation de la base de connaissances de l'UT.

Quel concept de document pour l'UF ?

On a évoqué plus haut que l'UF serait un sorte tissu d'échanges entre les inter-acteurs, rôles pouvant à tout moment s'inter-changer. Au niveau du support on retrouve le papier ou le CD-ROM et le réseau. La première technique consiste à graver une information qui se fige à la manière d'une sculpture, la seconde, à mémoriser, à enregistrer une information à, et, pour un instant donné. Ces deux composantes sont essentielles à l'équilibre de l'UF. La composante réseau est amenée à évoluer très rapidement. Sans doute dans un premier temps en copiant son aîné "atomique", mais les notions de liens hypertextes et de chargement à travers le réseau de modules ( applets Java) pouvant interagir avec le lecteur sont en passe de bouleverser le media du livre traditionnel, à la fois dans son contenu, dans sa diffusion et sa présentation. C'est en exploitant cet aspect dynamique que seront créés les documents vivants de l'UF.


Francis Lapique
École polytechnique fédérale de Lausanne


Notes et références

A propos des notes de bas de page :
-le style italique indique une référence purement textuelle
- le stye standard indique une référence à une URL (Uniform Resource Locator), soit l'adresse d'un site sur le Web

[1] La transdisciplinarité, manifeste, Basarab Nicolescu, Editions du Rocher, Paris, 1996

[2] prolégomènes: notions, principes préliminaires à l'étude d'une question.. (cf."Prolégomènes à toute métaphysique future" de Kant)

[3] Université: voir article de l'Encyclopaedia Universalis

[4] -Santa Fe Institute: http://www.santafe.edu/
-hotline Nobel direct: Murray Gell-Man : http://www.smau.it/nobel/direct/gellq.htm

[5] Complexity - What is it Good For? Absolutely Everything:
http://homepage.seas.upenn.edu/~ale/cplxsys.html

[6] Chaotic Bibliography: http://www.students.uiuc.edu/~ag-ho/chaos/books.html

[7] ibid

[8] -G7: http://www.ibm.com/Sponsor/g7live/20009.html
-CyberEd truck, Al. Gore 17 avril 1996:
http://www1.whitehouse.gov/WH/EOP/OVP/html/041796.html

[9] -Howard Rheingold: http://www.well.com/user/hlr/
-Laboratoire LIG de l'EPFL: http://ligwww.epfl.ch/

[10] conférence MBONE du 18 janvier 1996: http://sgwww.epfl.ch/BERGER/videoconference/

[11] cf la très claire mise au point de Jean-Louis Le Moigne: Les épistémologies constructivistes, Que sais-je?, PUF, Paris, 1995

[12] Kurt Gödel: http://www-groups.dcs.st-and.ac.uk/~history/Mathematicians/Godel.html

[13] Stéphane Lupasco: en particulier, Logique et contradiction, PUF, Paris 1947 et L'expérience microphysique et la Pensée humaine, Ed. du Rocher, Paris, 1989.

[14] ibid note 1

[15] The silent beat of japanese music, Akira Miyoshi, Japanese Essences, Tokyo, 1984

[16] Norbert Wiener: http://www.well.com/user/mmcadams/wiener.html

[17] mythologie grecque sur Internet: http://www.perseus.tufts.edu/

[18] Internet Society: http://www.isoc.org/

[19] Et Dieu créa l'Internet, Christian Huitema, Eyrolles, 1995:
http://sf.emse.fr/AUTHORS/CHUITEMA/chedci.html

[20] ibid note 3

[21] néologisme pour désigner la dimension du réseau, de l'Internet, du Web.

[22] on line: Accessible via a computer, rather than on paper or other medium.
(définition tirée du Computing Dictionary: http://wombat.doc.ic.ac.uk/)

[23] multimedia: human-computer interaction involving text, graphics, voice and video. Often also includes concepts from hypertexts.
(définition tirée du Computing Dictionary: http://wombat.doc.ic.ac.uk/)

[24] L'origine du futur, René Berger, Editions du Rocher, Paris, 1996:, page 44

[25] l'Unesco sur le Web: http://www.unesco.org/

[26] ibid note 1

[27] Principia Cybernetica: http://pespmc1.vub.ac.be/INTRO.html

[28] feedback: part of a sytem output presented as its input. Feedback may be unintended. When used as a design feature, the ouput is usually transformed by passive components which attenuate it in some manner; the result is then presented at the system input. Feedback is positive or negative, depending on the sign with which a positive change in the original input reappears after transformation.
(définition tirée du Computing Dictionary: http://wombat.doc.ic.ac.uk/)

[29] self organization systems: http://www.ezone.com/sos/

[30] Mosaic, produit du National Center for Supercomputing Applications, Illinois:
http://www.ncsa.uiuc.edu/

[31] Netscape Communications: http://home.netscape.com/

[32] Microsoft: http://www.microsoft.com/

[33] AT&T: http://www.att.com/

[34] cybersphère = cyberespace = cyberspace (eng.)

[35] par exemple, AltaVista: http://altavista.digital.com/

[36] Yahoo: http://www.yahoo.com/

[37] catalogue des universités donné par Yahoo: http://www.yahoo.com/Education/Universities

[38] Speculum Majus de Vincent de Beauvais figure sur le Web:
http://www.ilt.columbia.edu/ilt/papers/studyplace/section08.html

[39] Diderot sur le Web: http://fileroom.aaup.uic.edu/FileRoom/documents/Cases/173diderot.html

[40] Encyclopedia Britannica: http://www.eb.com/

[41] voir la rubrique culture de Yahoo

[42] mythologie grecque sur Internet: http://www.perseus.tufts.edu/

[43] ibid

[44] e-mail: electronic mail - Messages automatically passed from one computer user to another, often through computer networks and/or via modems over telephone lines.
(définition tirée du Computing Dictionary: http://wombat.doc.ic.ac.uk/)

[45] newsgroup: One of Usenet's huge collection of topic groups or fora. Usenet groups can be "unmoderated" (anyone can post) or "moderated" (submissions are automatically directed to a moderator, who edits and then posts the results).
(définition tirée du Computing Dictionary: http://wombat.doc.ic.ac.uk/)

[46] - heuristique: méthode de recherche fondée sur l'approche progressive d'un problème ou d'une situation, équivalant au processus de la découverte
-Laboratoire de Neuro-heuristique, Université de Lausanne: http://ulphy1.unil.ch/

[47] Lyssenko rejeta la théorie du gène pour affirmer l'influence du milieu et l'hérédité des caractères acquis comme facteur d'évolution des espèces. Ce faisant, il s'acquit, contrairement à l'évidence scientifique, les honneurs du pouvoir poliique communiste jusqu'au moment où ses théories furent complètement abandonnées.

[48] voir note 22

[49] off-line: Not directly connected to the computer (e.g., an off-line tape drive), or with connection suspended
(définition tirée du Computing Dictionary: http://wombat.doc.ic.ac.uk/)

[50] World Art Treasures : http://sgwww.epfl.ch/BERGER/

[51] La Télé-fission, Alerte à la Télévision, René Berger, Casteman, Paris, 1976

[52] Open University: http://acs-info.open.ac.uk/

[53] Projet K12: http://www-tenet.cc.utexas.edu/Pub/webdesign/exemplary.html

[54] La recherche: http://www.larecherche.fr/

[55] Denis de Rougemont, entre autres, L'avenir est notre affaire, Stock, Paris, 1977

[56] Applet: A program written in Java which can be distributed as an attachment in a World-Wide Web document and executed either by Sun's HotJava browser or Netscape Navigator version
définition tirée du Computing Dictionary: http://wombat.doc.ic.ac.uk/)

[57] http://java.sun.com/

[58] voir note 27

[59] Colloque de Cerisy, l'auto-organisation, Seuil, Paris, 1983

[60] The Game of Life:
http://www.epcc.ed.ac.uk/epcc-tec/documents/hpf-course/hpf-course.book_52.html

[61] Tierra Project: ftp://life.slhs.udel.edu

[62] -Introduction à la pensée complexe, Edgar Morin, ESF, Paris, 1990
- L'origine du futur, René Berger, Editions du Rocher, Paris, 1996

[63] tourbillons de Bénard: http://rayleigh.lanl.gov/thermal/yuchou/HEA95c/HEA95c.html

[64] - Micropsychologie et vie quotidienne, Abraham Moles, Denoël, Paris, 1978
-Les sciences de l'imprécis, Abraham Moles, Seuil, Paris 1990

[65] - voir la rubrique cyberculture de Yahoo: http://www.yahoo.com/Society_and_Culture/Cyberculture/
- HotWired: http://www.hotwired.com/login/
- Imagina: http://www.ina.fr/INA/Imagina/96/

[66] edutainment: Interactive education and entertainment services or software, usually supplied commercially via a cable network or on CD-ROM.

[67] Internet Society : http://www.isoc.org/

[68] - W3 Consortium : http://www.w3.org/
- MIT : http://web.mit.edu/
- INRIA : http://www.inria.fr/

[69] - Netday : http://www.netday96.com/netday/

[70] - letter from George Soros: http://www.isf.ru/gen_info/letter.html



Congrès de Locarno, 30 avril - 2 mai 1997 : Annexes au document de synthèse CIRET-UNESCO


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