AU SEUIL DU MYSTERE[1]

 

 

15 août 2001

 

MdS est décédé le 4 août 2001, un samedi matin, vers 10h, à Beaupréau.

 

[...] Nous arrivons à Beaupréau le dimanche 5 août, vers 16h, et nous avons la chance d’arriver à un moment où il n’y a pas de monde. […] Devant la porte de la chambre de MdS, deux jeunes femmes sont assises. Elles ouvrent la porte pour nous faire entrer : deux personnes sont déjà présentes qui vont sortir. Je me dirige vers la gauche du lit derrière B., puis, dès que les deux personnes sont sorties, je vais sur la droite m’asseoir sur une des deux chaises près de l’ange en mariée. D. s’assoit au pied du lit. B. reste debout.

 

Après un certain temps je peux poser le regard calmement vers le visage de MdS. Il est calme, un léger sourire semble s’esquisser de ses lèvres ; une barbe blanche de quelques jours recouvre son menton. Il est habillé d’une chemise indienne blanche. Ses mains sont croisées sur son ventre dans la posture traditionnelle.

 

J’essaie de me concentrer sur le visage de MdS. Ma respiration est de plus en plus légère, suspendue. Cependant, des milliers de pensées déferlent dans ma tête et, en essayant de les chasser, elles reviennent de plus en plus fortes [...] Quand ces pensées affluent trop nombreuses dans ma tête, je marque un temps d’arrêt en regardant tout autour, sans bouger la tête ; seuls les yeux absorbent les détails de la pièce et font pénétrer dans mon âme les impressions du lieu : le mur délavé au dessus de MdS, le visage immobile de B., les mains de MdS, sa barbe, ses lèvres, le dessus du lit, l’ange mariée que j’aime beaucoup [...]

 

Et puis soudain, en regardant le corps de MdS, une respiration forte et régulière se fait entendre. J’ouvre les yeux (je dis bien les yeux et non les oreilles) pour fixer la cage thoracique de MdS, puis son visage. Il me semble dormir, prêt à s’éveiller, mais aucun mouvement n’est perceptible. Je regarde alors tout de suite B. et je me concentre sur sa respiration ; mais le son régulier qui continue toujours à emplir la chambre n’émane pas de lui. B., qui peut avoir une respiration bruyante, semble à ce moment-là à peine respirer : aucun son, ni aucun mouvement à travers son costume noir, ne sont perceptibles. Il semble en suspens, comme MdS.

 

Mes yeux sont grand ouverts et, comme si j’observais le déroulement d’un rêve, mon regard va alternativement de MdS vers B. Mais le son de la respiration continue : le rythme pénètre entièrement dans mon corps et mon regard continue d’aller et venir de MdS à B., mais plus calmement. Je suis dans un état d’absorption totale des impressions. Je vis pleinement en moi cette respiration et enfin toutes les pensées ont disparues. Il ne reste que ce rythme qui dure.

 

Mon regard s’élargit, car je suis bien obligée de croire à cette respiration.

 

[...] A plusieurs reprises il me semble que MdS bouge, respire, ouvre les yeux même. Alors mon regard se fixe fortement sur MdS mais ne peut constater réellement aucun mouvement.

 

La respiration pourtant continue. Mon cœur cherche désespérément d’où peut provenir ce son, car peu à peu je réalise l’extrême mystère de ce phénomène et quelque chose en moi refuse d’y croire et essaie de trouver une origine, une explication.

 

Je fixe donc encore plus profondément, de mon regard, le son de cette respiration. Il est bien en direction de MdS et semble envelopper tout son corps, un corps beaucoup plus large qui dépasse son corps terrestre. Un corps pratiquement aux dimensions de la chambre et dont le cœur serait le corps terrestre de MdS, un corps nous englobant tous les trois en nous imprégnant, quant à moi, de sa lumière et de sa bonté.

 

A deux reprises le bruit de la respiration reprend fortement son souffle. Mon regard atterré se dirige vers B., mais, à nouveau, aucun signe que ce bruit provienne de lui. Il est toujours aussi immobile et sa respiration semble arrêtée.

 

[...] Je suis en état de gratitude pour ce moment.

 

B. bouge et se dirige vers MdS pour le toucher une dernière fois. Il sort. Je fais un dernier signe vers MdS et nous le suivons.

 

[...] Dans la voiture j’ose parler de la respiration que j’ai entendue. A ma grande surprise, D. dit qu’elle a entendu la même respiration. Je croyais toujours en fait à un phénomène d’hallucination… Puis B. paraît très intéressé et nous décrit l’exercice qu’il a fait dans la chambre. Il a concentré sa respiration et l’a faite circuler de MdS à lui ; lui seul pourra décrire vraiment cet exercice de respiration circulaire. Sa propre respiration s’est pratiquement arrêtée. [...] B. pendant son exercice n’a pas entendu le son de la respiration : il sentait que MdS respirait à travers lui

 

Je sais que ces instants resteront gravés à jamais dans mon âme.

 

Michelle NICOLESCU



[1] Extraits du journal tenu de 1978 jusqu’à sa mort par Michelle Nicolescu, décédée le 28 octobre 2005. Les noms sont remplacés par des initiales. Le titre du texte a été choisi par le coordonnateur de ce numéro de « Rencontres transdisciplinaires ».

Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires n° 19 - Juillet 2007

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