D'UNE CONSCIENCE FŒTALE

À UNE CONSCIENCE DU NOUVEAU NÉ ?

 

 «Tout est plus simple que l’homme ne peut l’imaginer et  en même temps plus complexe qu’il ne peut le comprendre »

Goethe

 

—       Lao-Tan (Lao Tseu en fait)  « j’évoluais au-dessus des phénomènes »

—      Confucius- « que voulez-vous dire ? »

—      Lao Tseu « il s’agit de quelque chose que notre esprit est impuissant à saisir et devant quoi nous restons bouche bée, mais je vais tenter tout de même de t’en donner une certaine idée »

Cité par JF Billeter dans leçons sur Tchouang Tseu

 

 

 

 

En préparant cet exposé j’ai été étonnée de découvrir combien il m’était difficile de penser la conscience. J’ai lu beau coup de choses passionnantes, et malgré ces lectures, je n’ai pas eu le sentiment de pouvoir cerner cette question de la spécificité de la conscience humaine telle que la pensée occidentale la conçoit.

Il est vrai que le sens de ce mot a été fortement chamboulé par les progrès scientifiques et les réflexions philosophiques depuis deux siècles.

Comment penser avec les mots des anciens, de Descartes, de Kant et des sensualistes même, après que la psychanalyse, les neurosciences, l’haptonomie, soient venues renouveler nos connaissances et nos croyances, qui se confondent parfois, nous le savons bien ?

Je crois  aussi que la pratique clinique qui est la nôtre, l’haptonomie, nous  déloge vigoureusement des certitudes apprises à la Faculté et du confort d’une réflexion qui se paye le luxe de ne pas se frotter au tissu complexe du vécu, du partagé, du ressenti.

En effet, s’aventurer dans le contact  et la rencontre  affective nous oblige à renoncer à une vision simple de ce qui organise une pensée et une identité autour et à partir des perceptions et des sentiments.

C’est encore plus vrai quand on s’occupe d’enfants avant leur naissance, les dits « fœtus » ou de nourrissons.

Comment ne pas éprouver le besoin de s’évader hors de concepts  forgés par des adultes réfléchissants à partir de représentations forgées par la longue suite des évolutions culturelles, politiques et scientifiques ?  Culture, politique, et sciences sont étroitement liées   n’en déplaise à ceux qui croient encore à une science « pure ».

Nous sommes, avec l’accompagnement haptonomique de la grossesse, dans les limbes de la personne humaine, tout y est à la fois minuscule à l’aulne d’un adulte qui ne sait pas décoder, et énorme du point de vue du sujet en gestation.

Nous sommes au cœur de la dynamique des racines et nous devons parler avec le vocabulaire de ceux qui observent la canopée.

La rencontre active avec les enfants avant leur naissance nous amène à penser que les différents niveaux de conscience, le pré conscient, le sub-conscient, l’inconscient Freudien, la conscience pré réfléchie de Piaget  et leurs dialogues avec les perceptions, comme l’amnésie infantile, tout doit être reconsidéré.

C’est un chantier de titan et les connaissances évoluent si vite qu’elle rendent les certitudes scientifiques plus provisoires que jamais. Mais l’évidence des effets de l’affectif est  un guide sur pour s’avancer dans ce débat.

N’étant ni philosophe, ni neurophysiologiste, je me suis rassurée en me disant que dans ce cadre transdisciplinaire et ce temps imparti relativement bref face à l’ampleur du sujet, je pouvais me contenter   de vous faire apercevoir ce que la pratique de l’accompagnement haptonomique pré et post natal  pouvait apporter à la réflexion dans ces domaines.

Bien qu’ayant été élevée dans une famille où l’on considérait  le fait que le nouveau-né soit intelligent comme allant de soi, j’avoue que la rencontre quotidienne avec les enfants et leurs parents avant la naissance et dans la première année post natale m’étonne et oserais-je dire une chose aussi peu « scientifique » ? m’émerveille bien souvent.

Qu’observons nous ? rien  justement! car nous n’observons pas et je crois qu’il faut s’arrêter un instant  sur cette particularité qui est due à la phénoménalité de rencontre, telle que la dégagée Frans Veldman.

C’est ainsi que l’haptonomie permet tout simplement de dépasser la division dualiste corps esprit dans laquelle, nous occidentaux, sommes enfermés depuis si longtemps. Je vous entends déjà penser que les asiatiques n’ont jamais pratiqué ce clivage. En effet, mais pas de la même manière. L’haptonomie le fait en donnant sa place d’unificateur central à l’affectif (le Thymos préfère dire maintenant Frans Veldman) au lieu d’en faire le tiers exclu mais toujours actif qu’il est en réalité.

C’est cette utilisation de l’affectif qui est révolutionnaire et si spectaculaire dans ses effets. Comment s’étonner que l’appel  à ce qui est si essentiel et si universel se révèle  d’une puissante efficacité dans les domaines du soin et de l’éducation au sens large du terme ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’approche affective, s’apprend et s’utilise avec rigueur dans le cadre professionnel.

Les manières d’utiliser l’affectif, les détails de ses effets dans toutes les dimensions du sujet  au cours de la vie, passent par une compréhension des liens entre les différentes parties du système nerveux, et leur manière de d’infléchir la présence à soi et au monde. Le système nerveux  est loin de se résumer au cerveau, et il faut, je crois, accorder beaucoup d’intérêt aux travaux de Michael Gerschon  sur le Système nerveux entérique.

Il m’est impossible de résumer ici les concepts et leurs articulations théoriques qui guident notre travail tel qu’on les trouve aisément dans les livres, mais je vais tenter un résumé centré sur l’essentiel. L’haptonomie montre que lors d’une rencontre affective, même si elle a lieu dans un cadre professionnel, les circuits sous-corticaux sont sollicités et modifient immédiatement les tonus dans tous les tissus, des méninges au plus petit orteil, chez l’approchant comme chez l’approché. Ces modifications sont accompagnées de changements de motricité, de dilatation des vaisseaux sanguins, de modifications des capacités de perception et des circulations hormonales. Les fonctionnements psychiques et cognitifs sont évidemment  immédiatement et  dramatiquement (dans le sens anglo-saxon) affectés. Tout cela concerne la personne dans sa globalité.

Cet ensemble de modifications, dues à ce que nous appelons le contact psycho tactile affectivo-confirmant, entraîne l’installation d’un sentiment de complétude, sécurisant, qui apporte un mieux être immédiat qui  éclaire toujours d’un jour nouveau le champ clinique, quel qu’il soit.

C’est pour rendre compte de la globalité de la personne humaine, unité affectivo somato psychique, que l’haptonomie parle de corporalité  animée de rencontre et non de corps  tant que le sujet est vivant. Ce qui est du registre du corporel tel qu’on l’évoque habituellement à notre époque, est nommé corporéité.

C’est une différence essentielle, elle peut se comprendre aisément si on l’illustre  par une phrase bien connue : « Cet enfant est la chair de ma chair » ne veut pas dire « Cet enfant est le corps de mon corps » qui d’ailleurs ne veut rien dire, on l’entend immédiatement. Cela montre bien que la vulgate fait la différence entre le corps fonctionnel et la chair, lieu où les signifiants laissent très concrètement leur trace. Car, s’il y a globalité de l’être, il y a aussi une continuité dans le temps dont la corporalité animée.

Cela se traduit par cette évidence, déniée par la médecine occidentale moderne : tout de nous est dans chaque partie de nous et chaque expérience vécue, si elle est affectivement importante, résonne en nous tout au long de notre vie. Et cela commence dès la conception pour ne se terminer qu’a la mort. Le fleuve du temps charrie les  événements et les scories des expériences vécues d’un bout à l’autre de nos vies. D’une façon encore difficile à expliciter ce continuum s’organise d’une manière singulière pour chacun. Certains éléments perdurent, se répètent, se rejouent tout au long de la vie, comme des figures préformées et préformantes de la conduite de l’histoire du sujet. On peut appeler ça névrose, mais c’est un peu court.

D’autres faits, minimes  font saillie, tandis que des événements que l’on croyait traumatiques s’effacent discrètement, et tout cela, à des moments bien précis vient affleurer dans le quotidien d’une manière ou d’une autre. Comme des tourbillons se formant à la surface du fleuve de  la vie, bravant à la fois le temps du courant et l’espace de la masse d’eau, lors de que l’on appelle les syndromes d’anniversaires.

Il est intéressant de remarquer que l’haptonomie nous permet de vérifier ce qu’avait avancé Françoise Dolto à savoir que lors des premiers neufs mois de sa vie aérienne le nourrisson fait des syndromes d’anniversaire, échos des événements prénatals. Cette lecture permet éclaire le syndrome du neuvième mois  d’une manière particulière.  Certains évoquent des cycles qui seraient valables pour tous, je ne suis pas compétente en ce domaine, je connais surtout les individus.

Ainsi, tout au long de la trajectoire, les échos se répondent et s’amplifient, les séparations se réveillent lors de toute césure, la peur de l’abandon (grande peur de l’être humain) surgit à chaque séparation et ainsi de suite. Heureusement il en est de même pour les joies et les expériences heureuses, qui viennent soutenir l’humain, seul mammifère à jouir du fait d’être en devenir tout au long de sa vie.

Entre les multiples expériences, sensations, sentiments, événements, l’affectif est le grand trieur.

C’est parce que ma pratique m’a donné la chance de prendre soin des humains à tous les âges de leur vie que j’ai développé une sensibilité particulière à la question des traces et des échos, donc des fondements. D’où mon intérêt pour la période prénatale et les premières années de la vie. Car les premières fois laissent, à notre insu, une trace d’une fraîcheur et d’une vigueur  particulière.

Grâce à la phénoménalité de rencontre, les phénomènes mis en acte par la rencontre, sont nommés, répertoriés, observables et reproductibles. Nous n’avons malheureusement pas eu le loisir de conduire des expériences comme celles qui ont été menées avec de  moines en méditation  pour observer les effets sur l’électro-encéphalogramme des EMC (états modifiés de conscience) mais je n’ai aucun doute sur le fait que nous obtiendrions des résultats similaires, avec en plus la dimension joyeuse qu’apporte le sentiment de partage du bon vécu avec un semblable. C’est cette dimension de la joie inhérente au vécu partagé ainsi que l’approche de la nature de l’humain et le concept du conatus, qui rapprochent  la théorie et l’éthique haptonomique de la pensée de Spinoza.

On m’a un jour demandé comment je percevais les enfants avant leur naissance, la réponse est venue avant que j’aie eu le temps de la mûrir : «  ce sont des guetteurs joyeux ».

Cela mérite quelques explications.

Il faut d’abord insister sur le fait que c’est la mère et l’enfant que nous accueillons, accompagnés du père (qu’il soit le géniteur ou pas). La mère est l’enfant sont liés par un indémaillable réseau de liens plus subtils les uns que les autres. On peut dire que tout ce qui est bon pour la mère l’est pour l’enfant, mais l’inverse n’est pas vrai. La mère, aidée par le père, peut protéger l’enfant  qu’elle porte et lui donner de la sécurité affective même dans les situations de danger objectif. La qualité de notre approche vers la mère est donc immédiatement perçue par l’enfant à travers les modifications du tonus de représentation que le nôtre entraîne chez celle-ci.

Les femmes enceintes sont souvent  plus sensibles et réceptives que les autres, elle perçoivent ce qui se passe autour d’elles, même sans contact tactile direct. C’est ainsi, qu’a distance, la mère peut témoigner que l’enfant dans le giron se fige ou se détend selon les approches et il est regrettable que les obstétriciens  et sages-femmes ne l’apprennent pas.

Nous sommes là dans des zones très difficiles à imaginer si on en n’a pas l’expérience.

Il y a une covivance réelle qui peut se vivre comme fusionnelle ou symbiotique ce qui, de mon point de vue, est pathogène. Le fait de donner à l’enfant un statut d’autre véritable, déjà sujet de son histoire, et de lui ouvrir l’accès à l’autre qu’est le père (et à l’haptothérapeute) opère un changement radical.

Dès cet instant, cette petite masse de cellules, organisée par un programme génétique   est transformée en une unité ressentante et désirante pour elle-même. De la masse des ressentis émerge un sujet humain, source autonome de désir. Et là, on voit se manifester une mémorisation, une quête de liens, des réactions personnelles qui  font penser que l’on a à faire à ce que Frans Veldman appelle une conscience affective pré rationnelle, qui fonde le développement de la matrice de l’intelligence humaine que  l’haptonomie nomme Hapsis.

Du un, grâce à la présence du tiers[1], émerge une entité qui peu à peu s’incarne dans ce qui sera pour nous bien plus tard une personne. C’est de ce clivage salutaire que le tiers est garant, qu’il soit le père guidé par l’haptothérapeute et accepté par la mère.

Cela me donne l’impression qu’à partir du moment où la mère est présente, ce tout que forme l’enfant, cette masse de chair est humanisée parce qu’elle se met à tendre vers l’autre que sont la mère et le père (je n’ai malheureusement pas le temps de détailler ici toutes les facettes de l’accompagnement).

«  Nous sommes des êtres de commencement » disait Hannah  Arendt.

À ceci près que le pouvoir d’inaugurer, je veux dire l’état de sujet est transmis par les parents, très précocement.

Les réponses de l’enfant sont motrices, mais n’allez pas croire que cela se résume à bouger ou rester immobile ! Les variations sont multiples, trépigner n’est pas danser, s’étirer, donner un coup, ce n’est pas répondre, c’est la subtilité de ce décodage qui rend notre formation lente et difficile. Dès que la mère, bien approchée entre en contact avec son enfant, il se produit pour eux deux un changement spectaculaire même s’il n’est pas  décelable pour qui ne sait pas le voir. Grâce à la phénoménalité, la mère éprouve un sentiment de complétude et de détente qui se traduit par un mieux être.

De son côté, l’habitacle de l’enfant change de tonus, ses parois deviennent  souples et plus douces, l’enfant y trouve de ce fait plus de place. Le tact, premier des sens est présent dès la 7e semaine de gestation. L’odeur et le goût du liquide amniotique changent (les hormones du bien être ont un autre goût que celles du stress). L’environnement sonore produit par la circulation et les mouvements respiratoires  se modifie, ainsi que ce que l’enfant ressent des pulsations du cordon planté au milieu de son abdomen si sensible.

L’enfant est au courant des moindres variations d’humeur de celle qui le porte. À son échelle, j’imagine que c’est chaque fois un événement. Les modifications de tonus musculaires, les ondulations vibratoires prennent sens et deviennent pour lui signifiantes comme un langage.

Pour que  cela se produise, il ne suffit pas que la mère soit détendue, voire contente, il faut qu’elle soit avec son enfant. Celui-ci réagit immédiatement par un mouvement de toute sa colonne (ou du  chorde, future colonne en début de vie). C’est une manière très douce de se mouvoir, comme une subtile animation de l’axe de la verticalité, si important pur les humains. On a le sentiment que le fait d’aller à sa rencontre l’appelle à découvrir en lui un désir de communication quiescent  et qui le reste si personne n’appelle.

Ces moments inaugurent une  suite de temps de jeux variés, les mains du père ou de l’accompagnant, celui qui fait tiers, essentiel dans la figure de la génération, appellent de l’extérieur, la mère accompagne le mouvement de l’intérieur. En effet, la mère grâce aux voies sous-corticales peut inviter l’enfant à se mouvoir en modifiant les parois de son giron (utérus, plus périnée, plus diaphragme thoracique, plus muscles abdominaux) si l’enfant est réveillé, il accompagne le mouvement en  poussant  la paroi utérine avec ses membres. C’est ainsi que l’on donne un temps de jeu  différent à chaque jumeau, que l’on peut porter un enfant malade ou mort, sans abandonner l’enfant survivant qui a besoin de rester à l’intérieur plusieurs semaines.

C’est ainsi que les mères et les pères vivent et accompagnent leurs enfants  dans ces moments étranges où la joie de la vie jaillissante se tresse à la mort  et au chagrin avec une intensité dramatique.

Très vite on découvre que l’enfant peut avoir des  séquences de jeu balancements. Il a le choix entre trois possibilités. Il peut choisir de se balancer de droite à gauche, de haut en bas ou rouler très lentement sur son axe. Dès qu’ils ont compris que c’était un jeu à faire avec les parents, l’enfant dès le troisième mois de grossesse choisit le rythme, l’amplitude la durée et la direction du jeu. Les parents se trouvent ainsi bercés jusqu’en dans leurs chevilles, par cet enfant encore en gestation.

Une fois  cela vécu l’enfant devient  proposant. Dès que sa mère est suffisamment au calme et proche, qu’elle soit consciente ou non de cette proximité, l’enfant  se lance dans un mouvement de balancement, très petit, comme une demande, êtes-vous là ?

Si les parents ne recueillent pas cette demande, il cesse, mais dès que des mains affectueuses se posent, il amplifie son mouvement et mène le jeu jusqu’à ce qu’il s’arrête en quelques secondes on le sent devenu indisponible.

C’est pourquoi, si on travaille bien, il est évident que l’on ne risque pas de sur stimuler un enfant, ce qui serait, bien évidemment dommageable.  Les enfants mémorisent donc et montrent ce qui leur fait plaisir, certains n’aiment qu’un seul type de balancement, d’autres passent de l’un à l’autre toutes les cinq secondes.

Chacun son style…Déjà. Il arrive aussi que les enfants donnent de petits coups jusqu’à ce que l’un des parents pose sa main sur le giron[2] maternel. Ils sont tellement curieux qu’ils localisent les sons familiers et aimés avant leur mère. Ils saluent par leurs mouvements le retour de leur père dès que sa voix retentit.

L’empreinte vocale est très prégnante et durable. Je me souviens d’un enfant qui à 6 mois de gestation manifestait son écoute en bougeant dès qu’il entendait ma voix, reconnue parmi d’autres, lors d’une émission de télévision. Ou encore de cet adolescent qui, me revoyant après des années  d’absence, a éclairé son visage d’une mimique étonnée au bout de quelques secondes d’entretien, en disant tout sourire, « je reconnais très bien votre voix ».  Les enfants dans le giron sont si désireux de contact que si le père  pose sa main sur la cheville de la mère du côté où l’enfant n’est pas, l’enfant traverse le petit espace du giron pour se rapprocher de son père. À force de vivre cela tous les jours je ne m’étonne plus, et pourtant…

Être appelé, c’est passer de survie à vie, d’exister à être... présent pour l’autre. Il y a de l’autre et pas seulement un magma de  perceptions et sensations  discontinues qui assurent la croissance. La conscience d’être soi ne peut nous être conférée que par la présence d’au moins un autre.

C’est toute la différence entre transmettre la survie qui est un acte physiologique et donner la vie qui est un acte d’amour.

Parfois nous recevons en urgence des parents dans des situations dramatiques et nous ne les voyons qu’une fois ou deux avant la naissance et, même dans ces cas-là, le nouveau-né montre, par son calme, son comportement, qu’il a vécu ce changement de statut, de survivant à vivant, invité à prendre place comme convive au « grand banquet de l’humanité »comme disait si magnifiquement Senghor.

Je nous invite à nous arrêter ensemble un  instant pour contempler ces moments-là car c’est là que commence à se poser la question de la conscience et de l’inconscience (plutôt que conscient et inconscient).

Qu’est ce que cette organisation d’un être si fruste, petit, immature, qui reconnaît, mémorise, propose et rassemble bientôt ses forces pour s’approcher de la main qui se pose, de la voix qui parle près du giron, du bruit nouveau  qui pique sa curiosité, ou fuir ce qui lui déplait pour se tapir dans le silence de son immobilité ou encore s’agiter parce qu’il a peur ? 

C’est, selon moi, une mise en acte du statut de sujet humain, précocement humanisé  par la rencontre et l’appel.

Il s’agit d’un éveil, qui  transforme radicalement la question du dialogue génome milieu, pour influencer fortement le développement de l’enfant et comme vous le verrez dans quelques minutes, cet éveil est structurant et se lit sur le visage et la posture de ces nouveau-nés-là.

 

Conclusion

Cette brève description  vous permettra de comprendre pourquoi je suis persuadée que depuis le giron, sombre, chaud, liquide, odorant, pulsatile, l’enfant guette et espère le contact et les signes de ceux qui l’entourent.

Il ne s’agit certainement pas de conscience en tant que connaissance réflexive. Il s’agit d’une conscience affective, pré rationnelle, qui permet à l’enfant humain, bien avant sa naissance, de percevoir et de discriminer finement, parmi la masse des perceptions, celles qui signifient une relation à un autre vivant.

Il montre pas son comportement qu’il est déjà capable de passer du sensoriel au sensuel en affectant ses perceptions d’un indice de plaisir/ déplaisir, sécurisant/ insécurisant, appelant /non appelant. Il semble que le fait de ses sentir appelé, c’est-à-dire, comme le dit l’haptonomie, confirmé affectivement, lui ouvre l’accès à une motricité de rencontre différente de celle qui se fait en soi, pour soi, au fil du développement des systèmes nerveux et musculo squelettique.

« À l’origine de la vie est le mouvement » disait Ibn Laarbi.

Le geste est une synthèse.

C’est vraiment le sentiment que donne le dialogue prénatal.

Je terminerai en reprenant le terme de sujet désirant, déjà là mais quiescent qui attend d’être, sans le savoir, reconnu comme tel pour se savoir  tel. Dans les limbes de la personne humaine, le sujet est déjà là dans une veille affective. L’être humain semble manifester une quête de l’autre     (grand Autre ou petit autre) qui devient l’organisateur de sa proto identité. Ce faisant il mobilise tout son appareil communicatif dans un but de rencontre. Il fraye ainsi les réseaux neuronaux qui préparent le langage, le geste et la parole allant ensemble comme nous le savons.

C’est pour cela que ces enfants font le meilleur usage de leur génome car ce dialogue joue une grande place dans le cadre de l’épignénetique. Quant au sentiment de sécurité de base qu’ils développent pendant ce temps prénatal il est l’arrière-fond qui permet que les stress inhérents à la vie viennent jouer leur rôle de stimulateurs au lieu de fragiliser un sujet insécurisé.

Il n’y a pas de sujet sans autre. C’est parce qu’il y a de l’autre  que l’intentionnalité s’éveille et que l’enfant devient très tôt co-créateur de lui-même.

« L’être est ce qui exige de nous création pour que nous en ayons l’expérience » - écrivait magistralement Maurice Merleau-Ponty.

Permettre à l’enfant de tirer du trésor des multiples sensations partagées dans sa vie prénatale un sentiment d’unité et  de sécurité à partir desquels son discernement esthétique, comme le dit Frans Veldman, peut se construire, l’amener à oser mettre en acte l’intentionnalité de la rencontre, c’ est lui donner l’humain comme horizon.


[1] L’accompagnement haptonomique se fait toujours en couple. Il serait pervers de faire un accompagnement sans le père. S’il n’a pas envie de participer, on doit absolument renoncer. Mais s’il est définitivement parti, ou décédé en début de grossesse on demande à la mère de choisir un accompagnant pour tenir la position de tiers entre l’enfant et elle. Cette personne est en fait en position quarte puisque le père est, de fait, présent dans l’enfant, les mères choisissent le plus souvent une femme.

[2] Nous nommons giron l’ensemble formé par l’utérus, les diaphragmes pelvien et thoracique et les muscles abdominaux.

Catherine DOLTO

Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires n° 20 - décembre 2007

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