DE L'INCONSCEINCE VERS LA CONSCIENCE

SUR LE CHEMIN SPIRITUEL

 

Introduction

En guise d’introduction, une anecdote ou plus exactement une information que nous pouvons recevoir comme une anecdote : le désir de science est très faible dans les pays riches[1] ! J’ai appris cela lors d’un colloque très récent à Strasbourg, un colloque portant sur le thème Science en Société. Le Japon est la nation dans laquelle ce désir de science chez les jeunes générations est le plus faible. C’est un pays d’Afrique centrale qui remporte la palme des populations jeunes les plus désireuses de se diriger vers un métier de recherche scientifique. C’est une information nouvelle pour certains d’entre nous. Je me permettrai quelques commentaires en conclusion de ce texte.

 

“Tout a été dit mais comme personne 

n’écoute, il faut toujours tout répéter.”

André Gide

Conscience / inconscience : une dichotomie nécessaire ?

Dans cette présente étude, je fais l’hypothèse suivante : il est peut-être artificiel de scinder conscience et inconscience en deux entités distinctes. Dans le cadre du point de vue que j’adopte ici, il convient de considérer des niveaux de conscience, comme par exemple la conscience de veille habituelle, le sommeil avec rêves, le sommeil profond, l’état de coma, etc... Ainsi, notre perception ou plutôt l’idée de la conscience et de l’inconscient peut se construire autour de la notion de niveaux, niveaux que nous pouvons observer, accepter et finalement dépasser pour une conscience plus unitaire, moins fragmentaire en tout cas.

Exprimé autrement, et ce sera l’idée centrale de mon exposé, l’être humain possède une capacité extraordinaire, celle de développer sa conscience, de sorte que celle-ci englobe petit à petit ce qu’on range habituellement dans la zone de l’inconscience.

Exemple n°1 : j’ai appris à observer ma respiration, à être attentif à l’inspiration d’air frais, à la rétention (plus ou moins longue selon les circonstances) puis à l’expiration d’air chaud. La plupart du temps, je suis totalement absent à ma respiration et elle change selon mes humeurs, mes joies, mes peurs. Je peux être conscient de la respiration et voir très clairement quel(s) lien(s) existe(nt) entre ma posture physique, mon émotion, ma pensée et ma façon de respirer. Quelque chose qui était du domaine de l’inconscient est vécu maintenant en pleine conscience attentive.

 

Définition du concept de conscience

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de s’arrêter quelques instants sur le sens des mots. Voici quelques significations que nous attribuons habituellement au concept de conscience.  Nous trouvons cela dans les bons dictionnaires mais aussi et surtout dans le langage dit commun, souvent intéressant à explorer, juste par curiosité oserais-je dire:

sentiment de soi-même : lors d’un Café Essentiel[2] récent, c’est le sens premier qui était exprimé lorsque j’ai posé la question : qu’est ce que le concept de conscience évoque pour vous ?

sens moral : Ce sens, je l’ai aussi entendu lors de ce même débat. Il faut donc admettre que la conscience est souvent associée à quelque chose d’émotionnelle ou morale et pas seulement à la pensée.

soin scrupuleux : ici la conscience est associée à une action menée avec une grande précision, en tenant compte d’un environnement, un but de perfection.

respect : le concept de conscience est donc associé à une autre qualité morale, le respect, la prise en compte d’un environnement plus ou moins complexe.

avoir quelque chose sur la conscience : semble vouloir dire que quelque chose est venu recouvrir une partie de soi-même et cette chose est identifiée à la conscience, un état serein, sans souci, capable de vivre dans l’instant.

liberté de conscience : ceci est interprété habituellement comme liberté de penser.

La multiplicité des significations donnés à la conscience indique qu’il s’agit de quelque chose de difficile définir, et à mon avis la difficulté vient essentiellement du fait des limites inhérentes à chaque définition. La conscience est vivante, évolue, change de niveaux, s’adapte. Ainsi, une bonne manière de la décrire (et non de la définir) est d’associer conscience à l’attention au présent. Cette attention peut être physique, intellectuelle, elle peut être une perception visuelle comme une sensation intérieure, toujours subjective mais vivante. La subjectivité n’exclue pas le partage d’expériences à propos de la conscience, bien au contraire à mon sens.

 

Inconscience : un degré de conscience à explorer

L’inconscient est la zone de notre être où sont stockées des choses non perceptibles, non connues, non maîtrisées. La plupart d’entre nous admettent l’existence d’un inconscient individuel. Ce fait indique une reconnaissance de la ‘frontière’ qui existe entre ce qui est conscient et ce qui ne l’est pas. Mais, et même si cela semble évident pour vous, les choses non perceptibles, non connues, non maîtrisées de l’inconscient n’impliquent pas, selon une pseudo-logique étrange, qu’elles ne puissent jamais être connues, maîtrisées et surtout perçues ! Cela signifie alors que la frontière entre conscient et inconscient se déplace dans le sens d’une conscience plus large, plus englobante. La plupart des vraie techniques de connaissance de soi permettent cela, de l’introspection personnelle (très limitée certes dans ses résultats par son caractère subjectif), en passant par la psychothérapie puis finalement le cheminement spirituel (religieux ou non).

Exemple 2 : Je possède un trait de caractère qui m’a amené dans de nombreuses situations désagréables, en particulier dans le domaine relationnelle. Ce trait, que je qualifie donc de négatif (par ses effets vécus), est la vanité. Grâce à l’aide d’un thérapeute confirmé, j’ai pu d’abord repérer les manifestations (nombreuses !) de ce trait puis j’ai appliqué quelques ‘outils’ du cheminement spirituel pour voir, comprendre et ensuite limiter les manifestations de ce trait. Aujourd’hui, je n’en suis pas totalement ‘guéri’ mais je perçois clairement l’origine et le cadre extérieur (et intérieur d’ailleurs) de la manifestation de ce défaut. Je me sens beaucoup mieux à présent, je me sens en réalité moins manipulé et j’ai donc dévoilé une partie d’un fonctionnement inconscient de mon être.

 

Qu’est ce que cache l’inconscient ?

La découverte du contenu de notre inconscient ne peut pas se faire en un instant. C’est un processus de dévoilement progressif. Je propose ci-après une liste non exhaustive de ce qui est habituellement non-conscient mais qui peut le devenir, soit lors de maladies, soit par une attention soutenue dans la direction adéquate:

Les processus physiologiques (majorité des influx nerveux, circulations des fluides, battements du coeur, digestion, etc.)

         - Les apprentissages mécaniques (paroles, marche, gestuelle).

         - Les façons de penser.

         - Les croyances anciennes (et nouvelles ?).

         - Conditionnements (nombreux) moraux, religieux, scientifiques (pseudo-scientifiques).

         - Hérédité.

         - Karma.

         - Traumatismes physiques, émotionnels, intellectuels.

         - Peur, orgueil, mensonge, avidité, etc...

         - Circulation énergétique (harmonieuse ou non)

         - Tensions.

Remarque : Il serait aussi intéressant et utile d’étudier la situation du sommeil dans son rapport avec les niveaux de conscience. Patrick Jean Pétri propose une réflexion sur ce thème dans son ouvrage ‘Sommeil, rêve et vie spirituelle’[3]. J’ai choisi de centrer mon étude sur la conscience telle que nous la vivons lorsque nous somme dans l’état de veille habituelle. Je considère d’ailleurs, à l’instar de S. Aïssel[4] ou J.Krishnamurti[5], que le travail de dévoilement et d’exploration de notre inconscient doit se faire à partir d’un état de conscience normal et le moins déformé possible par une maladie psychique ou des drogues.

 

Prendre contact avec l’inconscient

Vous l’avez compris, je soutiens l’idée suivante : il est possible concrètement et directement de contacter ce qui n’est pas conscient en nous. Chacun des points listés ci-dessus pourrait faire l’objet d’une réflexion approfondie et nous découvririons ensemble des pistes pour voir ce que cachent nos façons de penser, ce qu’implique notre hérédité, quels sont nos croyances, etc. Tout ceci ne débouchant évidemment pas sur une maîtrise, un contrôle mais bel et bien sur une perception. Voilà la situation : nous voyons par exemple cette croyance en nous, elle est bien là, nous percevons même son origine et maintenant ? La situation devient alors très intéressante : nous pouvons décider si nous nous laissons manipuler par cette croyance ou, au contraire, si nous lui tordons le cou ! Nous devenons libre. Voilà toute la différence et elle n’est pas mince.

Ainsi la conscience n’est pas maîtrise. Il y aura de nombreux endroits du non-conscient qui, même clairement perçus, sont inutiles à maîtriser car ils fonctionnent bien, pour notre santé physique ou encore pour notre intégration harmonieuse dans la société, etc.

Exemple 3 : Si nous sommes en bonne santé, il est inutile de tenter de maîtriser son rythme cardiaque. On raconte que des Fakirs entraînés seraient capables de faire cela. La question que je pose serait donc : dans quel(s) but(s) ?

Le contact avec le non conscient peut se faire via différentes techniques, comme les représentations systémiques de B. Hellinger[6] ou d’I. Lahore[7], par une psychothérapie, par des traitements énergétiques, par la pratique de telles ou telles méthodes psycho-corporelle[8], mais je pense qu’il y a une technique simple mais incontournable et qui devrait toujours accompagner celles que je viens de citer. Il s’agit de l’observation directe de soi, l’attention à soi, dans son corps, attention à ses émotions et à ses pensées. La question de la conscience et du non-conscient qui lui est directement liée, est une réalité du présent car la perception n’est réelle que ici et maintenant. Il n’y a pas de perception de ‘hier’ et il n’y a pas de perception de ce qui n’existe pas encore, je veux dire demain, dans une heure, dans dix ans. Les théories, la pensée donc, ont quelque chose à dire sur le passé et sur son lien à maintenant. Les rêves et l’imaginaire s’intéressent à demain. L’observation est maintenant, ancrée dans le présent.

Etre capable d’observer, de s’observer, est rarement quelque chose d’immédiat mais cela fait plutôt suite à un entraînement spécifique. L’observation que chacun peut pratiquer est une méthode scientifique. Elle implique quelques règles listées ci-après. Ces règles de sont pas de mon invention ! Elles ont été proposées par G. I. Gurdjieff[9] puis, plus récemment par S. Aïssel[10]. Il s’agit surtout d’être capable de percevoir directement les choses pour ce qu’elles sont, et donc en acceptant la réalité pour ce qu’elle est. Ce n’est pas chose facile, et impossible dans le cadre de la mouvance fortement ancrée dans les sociétés dites modernes : tout, tout de suite et sans effort.

Voilà comment nous observons nos attitudes physiques, émotionnelles et intellectuelles :

Cette pratique développe la conscience et permet très rapidement de mettre en évidence les fonctionnements non-conscients. Ce qui est très étonnant, c’est que finalement le non-conscient se révèle à l’observation de soi, et cela signifie qu’il n’est pas totalement caché.

Cela indique que nous ne sommes ‘simplement’ pas assez éveillé à nous-même habituellement.

Exemple 4 : Très souvent nous avons des tensions inutiles dans la mâchoire. Dès que je le dis, nous pouvons nous en rendre compte et donc rendre conscient quelque chose qui l’instant d’avant le l’était pas. Nous essayons alors d’observer un peu mieux, mais sans détendre la mâchoire (ne pas changer ce qu’on observe - principe 3 de la liste). Une fois les tensions bien perçues, nous pouvons décider de nous détendre. Nous pouvons alors aussi remarquer si d’autres endroits du corps se détendent ou se tendent à leur tour. Nous observons aussi si nos pensées sont modifiées, nos émotions, etc... nous dévoilons beaucoup de non-conscient en pratiquant sincèrement, comme un chercheur de vérité. Un exercice aussi simple, lorsque nous le faisons, nous montre comment nous devenons réellement plus conscient de nous.

 

La conscience comme pratique et non comme sujet d’étude : le chemin spirituel

Vous l’aurez compris, le point de vue que j’adopte aujourd’hui est concret, pratique. Ce n’est pas seulement une réflexion sur la conscience et sur l’inconscient. C’est un ensemble de propositions que je rapporte (j’insiste sur le fait que ce que j’explique ici m’a été enseigné et que donc je n’ai rien inventé, saut peut-être le fait d’en parler maintenant !) et qui permettent d’appréhender les concepts de conscience et d’inconscience par une expérimentation directe et personnelle. On a vu au départ de ce texte que la conscience est quelque chose de difficile à définir, qu’elle prend de nombreux sens différents. Ainsi, je crois que la seule réflexion à son sujet conduit à une impasse, la même impasse dans laquelle s’enfonce un chimiste qui se contente d’imaginer à quoi pourrait aboutir le mélange de deux substances. Il faut bien sûr réaliser l’expérience, il est nécessaire de mélanger les deux substances puis d’analyser le résultat. Dans le domaine de la recherche de l’être en soi, c’est une démarche similaire qu’il convient d’adopter.

Ceci est ma compréhension de ce que représente aussi le cheminement spirituel : une pratique de la conscience, de la présence au réel, c’est à dire à ici et maintenant. Sur un chemin spirituel, il est probablement possible de poursuivre des buts très différents, mais quelque soit le but, on ne peut pas faire l’économie d’une présence, d’une conscience de plus en plus large, qui permet, par exemple, de savoir qui on est vraiment derrière le masque de la personnalité. Ainsi, découvrir le non-conscient par une conscience qui se développe est intimement lié au cheminement spirituel. De mon point de vue, il s’agit là de la colonne vertébrale du cheminement vers soi-même, ou chemin spirituel, comme on voudra.

 

Pratiques essentielles

Les pratiques essentielles pour devenir plus conscient sont :

         - L’attention à soi-même, par exemple à une posture particulière, à une ou un ensemble de pensées, une  émotion et sa manifestation, etc... Cette pratique est possible partout et tout le temps.

         - La méditation de type zen. Il s’agit de s’asseoir dans une posture correcte (nécessite un enseignement, cela ne s’improvise pas) et nous sommes attentif à notre posture, à notre respiration et nous observons nos pensées lorsqu’elle se présentent. Cela correspond à un temps choisi dans la journée.

         - L’acceptation du réel, sous toutes ses formes. Dans cette pratique j’inclus aussi l’ensemble du travail nécessaire pour connaître (et chercher) sa véritable place, face aux autres (familles, cercle d’amis, société, etc..), face aux autres règnes de la nature, face à ses propres buts dans la vie.

Enfin, l’ensemble de ce travail devient possible si un but clair est posé. C’est quelque chose de très important, une possibilité réellement humaine. Pour certains, encore trop nombreux sur terre, le but est de survivre et/ou de trouver de quoi manger. Pour la plupart d’entre nous, les buts sont différents, ils peuvent être de nature très matérielle ou plus spirituelle, selon les cas.

Toujours est-il que l’homme peut décider de sa vie et, selon mon expérience, il vaut mieux sinon c’est l’ensemble des impressions et autres influences extérieures qui formeront son avenir. Il n’y a là aucune liberté mais seulement réaction mécanique à la vie. Décider d’un but et y tendre consciemment permet au contraire de construire une destinée, vers une liberté de plus en plus grande, vers un état d’être où le non-conscient occupe une place minime face à la conscience, puissante et englobante.

 

Commentaires sur l’anecdote initiale

Pour finir, je me permets deux courtes remarques sur l’anecdote initiale. Dans les pays à faible ‘Produit Intérieur Brut’,  le but est encore souvent la survie, pour soi ou pour la famille. C’est un objectif très concret, dans le présent. Même si bien évidemment cela est regrettable, l’effet direct de cet état de fait est une soumission constante à un impératif concret, très présent. Je pense qu’au contraire lorsqu’on a presque tout - je pense là aux pays aux fort PIB-, la pensée divague et se perd dans les labyrinthes du psychisme, expliquant suicides et dépressions. Il n’y a plus de but concret, il n’y a plus de buts présents. La vie ne l’impose pas.

Force est de constater que la science et donc la recherche de la vérité attirent vers elles les êtres habitués à se fixer des buts concrets. Malheureusement, dans certains pays dits pauvres, ces buts sont imposés par la vie !

 

 

 

 

Conclusion

L’idée principale de mon intervention est : la conscience peut s’élargir très fortement par un travail, une discipline basée sur l’observation directe de soi : une méthode scientifique. Parallèlement, l’inconscient peut être dévoilé, équilibré. Jusqu’à quel point ? C’est l’aventure spirituelle qui pourrait répondre à cette question. Elle nécessite qu’on se fixe un but qui va dans cette direction, celle de l’éveil concret à maintenant.


[1] L’enquête ROSE (Relevance of Science Education) est un projet comparatif sur les attitudes, les intérêts et les perceptions de la science et des technologies chez les jeunes de 15 ans, auquel 40 pays ont participé.

[2] Rencontres Transdisciplinaires organisées régulièrement à Strasbourg par l’association ATA (Actions Transdisciplinaires Alsace).

[3] Sommeil, rêves et vie spirituelle, P. J. Petri, Editions de la lumière, 1995.

[4] S.Aïssel, Nouvelle Psychologie Spirituelle, Editions Spiritual Book France, 2001

[5] J. Krishnamurti, Aux Etudiants, Edition Stock, 1999

[6] Bert Hellinger, Constellations familiales, Editions Le Souffle d’Or, 2001.

[7] Perturbation symbiotique et réalisation de soi, I. Lahore, Revue Science de la Conscience n°25, Edition ALTHE S. A. 2007.

[8] E.T.Griffith, Euphonie Gestuelle du Samadeva, Editions Ecce, 2003.

[9] P.D. Ouspenski, Fragments d’un Enseignement Inconnu, Editions Stock, 1949.

[10] S.Aïssel, Nouvelle Psychologie Spirituelle, Editions Spiritual Book France, 2001.

Richard WELTER

Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires n° 20 - décembre 2007

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